Les "primaires de l'UMP" c'est bien évidemment une nouveauté, c'est sans aucun doute un événement politique d'un certain intérêt, c'est peut-être bien une rupture avec une tradition bonapartiste de ce côté de l'échiquier, mais si on s'en tient à l'actualité toute récente, on est tenté de dire que c'est avant tout un pléonasme.
Le 17 Octobre, François Hollande s'est fendu d'une déclaration selon laquelle "la République reconnaît avec lucidité" la "répression sanglante" de la manifestation des Algériens de Paris cinquante-et-un ans auparavant. On peut remarquer qu'il vaut mieux reconnaître avec "lucidité" qu'avec aveuglement, on observera surtout que la "République" comprend vite, mais qu'il faut lui expliquer longtemps: cela fait maintenant des décennies que les historiens se sont penchés sur la question, et même si le nombre exact de victimes est loin de faire consensus (lire l'article de Pascal Riché à ce sujet sur Rue89), tout le monde s'accorde à dire que, ce soir-là, la police parisienne, aux ordres d'un certain Maurice Papon, a dérapé grave dans la ratonnade. Mais la "République" a parfois la comprenette un peu difficilette: la guerre d'Algérie justement qui, des années durant, n'en fut pas une, le régime de Vichy et sa myriade de fonctionnaires longtemps considérés comme un trou noir, une "absence de France". Mais avec le temps, va, tout s'en va, vient un moment où les silences officiels tournent tellement au ridicule que même les "officiels" finissent par s'en apercevoir: Jacques Chirac en 1995 à propos de la rafle du Vél' d'Hiv', François Hollande en 2012 sur les bavures à grande échelle d'Octobre 61, donc, l'un et l'autre contribuant à donner du pays qu'ils représentent une image plus respectable: l'escamotage ou le traficotage de l'Histoire par les "officiels" est davantage une spécialité des régimes totalitaires que des démocraties.
Oui mais voilà, depuis quelques années maintenant, c'est devenu une habitude: à droite, on a le "mémoriel" sensible, notamment lorsqu'il s'agit de la guerre d'Algérie. Longtemps, la défense envers et contre tout de l'empreinte historique de la France, notamment militaire, et singulièrement lors des guerres coloniales, fut l'apanage de l'extrême-droite qui, du coup, avait le monopole d'une certaine forme de patriotisme - "right or wrong, my country" disait Rudyard Kipling. Mais depuis quelques années, ce nationalisme intransigeant ("intégral", diraient certains en pensant à Charles Maurras) est devenu tendance au sein de la droite parlementaire. La "droite décomplexée" chère à Jean-François Copé, c'est une droite qui, en l'occurrence, se met à chanter "Debout, les paras", à bouffer du porteur de valises et du combattant FLN, cinquante ans après la bagarre.
Alors aujourd'hui on a entendu un Christian Jacob, et même un François Fillon, en stéréo avec les Le Pen, s'insurger contre l'initiative de François Hollande qui s'inscrit, selon l'ancien Premier Ministre, dans une attitude de "culpabilité permanente" qui contraste avec le lourd silence des autorités algériennes sur "les crimes de l'Algérie au moment de l'indépendance, le massacre des harkis (...)".
On ne s'attardera pas sur les ressorts politiques - indépendamment de la sincérité des convictions - de cet accaparement, par la droite parlementaire, d'une certaine "mémoire" de la guerre d'Algérie : concurrence avec le Front National, arrivée aux manettes d'une génération trop jeune pour avoir vécu les guerres coloniales, démagogie d'élus de territoires à fort "vote pied-noir", etc...
On retiendra plutôt que cette crispation mémorielle fait parfaitement écho à celle qu'on observe de l'autre côté de la Méditerranée, en Algérie même: ce qu'on appelle là-bas la "guerre de libération nationale" est un thème récurrent du discours officiel, en particulier à destination de la France: on se souvient d'un Bouteflika parlant sans ambages de "génocide" à propos des exactions françaises en Algérie. Renvoyer la France à son passé colonial, c'est même devenu un rituel. Mais l'évocation, encore et encore, de la "guerre de libération nationale" a surtout son utilité sur le plan intérieur car elle permet d'éviter les sujets qui fâchent : chômage et déficit d'infrastructures indignes d'un pays gorgé de pétrole et de gaz naturel, inégalités, contrôle économique du pays par des clans de généraux, corruption endémique, élections-bidon, notamment, mais aussi toutes les cicatrices non résorbées d'une guerre civile qui aurait fait environ 150 000 morts en une dizaine d'années.
Or ce rabâchage par les officiels algériens de la "mémoire" de la guerre contre la France, outre le fait que son récit comporte un certain nombre de trous - impasses sur les massacres de partisans de Messali Hadj par le FLN, voile pudique sur les rivalités entre les combattants de l'intérieur et l'Armée de Libération Nationale abritée dans le sanctuaire tunisien - a tendance à franchement tomber à côté de la plaque, pour une population dont la moitié environ est âgée de moins de vingt-cinq ans.
Bref, la gesticulation mémorielle autour de la guerre d'indépendance, en Algérie, c'est surtout l'affaire d'un régime qui suscite auprès de ses citoyens au mieux l'indifférence, au pire le mépris voire l'exaspération - une affaire de vieux cons qui se gobergent.
Ainsi lorsqu'en France l'UMP somme François Hollande de ne surtout pas entacher, fut-ce en énonçant des évidences, le beau récit national et son glorieux épisode algérien, elle nous prouve qu'elle est "décomplexée", car elle affiche la couleur: l'histoire nationale, si on l'évoque comme il faut, c'est un truc formidable pour distraire les foules.
Le modèle à suivre pour la droite française, finalement, ce n'est pas Angela Merkel, c'est Mohammed Bouteflika, un type malin comme tout. Même si son discours est parfois un peu primaire.
See you, guys.
Oui mais voilà, depuis quelques années maintenant, c'est devenu une habitude: à droite, on a le "mémoriel" sensible, notamment lorsqu'il s'agit de la guerre d'Algérie. Longtemps, la défense envers et contre tout de l'empreinte historique de la France, notamment militaire, et singulièrement lors des guerres coloniales, fut l'apanage de l'extrême-droite qui, du coup, avait le monopole d'une certaine forme de patriotisme - "right or wrong, my country" disait Rudyard Kipling. Mais depuis quelques années, ce nationalisme intransigeant ("intégral", diraient certains en pensant à Charles Maurras) est devenu tendance au sein de la droite parlementaire. La "droite décomplexée" chère à Jean-François Copé, c'est une droite qui, en l'occurrence, se met à chanter "Debout, les paras", à bouffer du porteur de valises et du combattant FLN, cinquante ans après la bagarre.
Alors aujourd'hui on a entendu un Christian Jacob, et même un François Fillon, en stéréo avec les Le Pen, s'insurger contre l'initiative de François Hollande qui s'inscrit, selon l'ancien Premier Ministre, dans une attitude de "culpabilité permanente" qui contraste avec le lourd silence des autorités algériennes sur "les crimes de l'Algérie au moment de l'indépendance, le massacre des harkis (...)".
On ne s'attardera pas sur les ressorts politiques - indépendamment de la sincérité des convictions - de cet accaparement, par la droite parlementaire, d'une certaine "mémoire" de la guerre d'Algérie : concurrence avec le Front National, arrivée aux manettes d'une génération trop jeune pour avoir vécu les guerres coloniales, démagogie d'élus de territoires à fort "vote pied-noir", etc...
On retiendra plutôt que cette crispation mémorielle fait parfaitement écho à celle qu'on observe de l'autre côté de la Méditerranée, en Algérie même: ce qu'on appelle là-bas la "guerre de libération nationale" est un thème récurrent du discours officiel, en particulier à destination de la France: on se souvient d'un Bouteflika parlant sans ambages de "génocide" à propos des exactions françaises en Algérie. Renvoyer la France à son passé colonial, c'est même devenu un rituel. Mais l'évocation, encore et encore, de la "guerre de libération nationale" a surtout son utilité sur le plan intérieur car elle permet d'éviter les sujets qui fâchent : chômage et déficit d'infrastructures indignes d'un pays gorgé de pétrole et de gaz naturel, inégalités, contrôle économique du pays par des clans de généraux, corruption endémique, élections-bidon, notamment, mais aussi toutes les cicatrices non résorbées d'une guerre civile qui aurait fait environ 150 000 morts en une dizaine d'années.
Or ce rabâchage par les officiels algériens de la "mémoire" de la guerre contre la France, outre le fait que son récit comporte un certain nombre de trous - impasses sur les massacres de partisans de Messali Hadj par le FLN, voile pudique sur les rivalités entre les combattants de l'intérieur et l'Armée de Libération Nationale abritée dans le sanctuaire tunisien - a tendance à franchement tomber à côté de la plaque, pour une population dont la moitié environ est âgée de moins de vingt-cinq ans.
Bref, la gesticulation mémorielle autour de la guerre d'indépendance, en Algérie, c'est surtout l'affaire d'un régime qui suscite auprès de ses citoyens au mieux l'indifférence, au pire le mépris voire l'exaspération - une affaire de vieux cons qui se gobergent.
Ainsi lorsqu'en France l'UMP somme François Hollande de ne surtout pas entacher, fut-ce en énonçant des évidences, le beau récit national et son glorieux épisode algérien, elle nous prouve qu'elle est "décomplexée", car elle affiche la couleur: l'histoire nationale, si on l'évoque comme il faut, c'est un truc formidable pour distraire les foules.
Le modèle à suivre pour la droite française, finalement, ce n'est pas Angela Merkel, c'est Mohammed Bouteflika, un type malin comme tout. Même si son discours est parfois un peu primaire.
See you, guys.
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