
A l'origine de ce conflit il y eut bien sûr le double-jeu, les ambiguïtés de la politique britannique dans cette (toute petite) partie du monde, mais plus profondément l'impossible compromis entre deux revendications d'une même terre. Les choses se gâtèrent vraiment lorsqu'il y a soixante ans, jour pour jour, un vieux monsieur dégarni avec une coupe à la Léo Ferré, David Ben Gourion, proclama la création de l'état d'Israël, le jour même où, cornemuses en tête, le gros des troupes britanniques quittait la Palestine (Un départ à la manière de ces invités qui, après avoir déclenché une conversation inappropriée chez leurs hôtes, et tandis que ces derniers commencent à s'envoyer des assiettes à la figure, s'en vont en disant "Bon, ben, c'est pas tout çà, pfou là là va falloir qu'on rentre, nous...")

Le Dieu unique, par ailleurs, s'en mêle. Enfin, "unique", façon de parler: il y a le Dieu-unique-sévère-mais-juste qui promet à Son Peuple Élu la terre d'un autre peuple pourvu qu'il Le révère jusqu'à la fin des temps; il y a le Dieu-unique-abstrait-mais-bavard qui commande la soumission, par la guerre s'il le faut; il y a le Dieu-unique-et-trois-en-un, débordant de Paix et d'Amour mais mortifère comme la nuée porte l'orage . Çà fait beaucoup, au total, en tout cas trop pour si peu de géographie.
Face à un tel imbroglio on pourrait espérer que, comme dans le cas des conflits dans les Balkans, de l'extérieur de cette terre s'expriment et s'imposent les voix de la Raison. Or il n'en est rien car le débat sur les enjeux de l'affrontement Israélo-Arabe, notamment en France, est pollué: les imbéciles de là-bas ont leurs relais parmi nous.
- Au nom de la défense de la cause palestinienne va parfois s'exprimer une vision paranoïaque du monde qui porte un nom: l'antisémitisme. Ce n'est pas une coïncidence si les groupuscules "identitaires" d'extrême-droite vouent un culte à l'Intifada et ses icônes, ce n'est pas non plus une coïncidence si les élucubrations du "Protocole des Sages de Sion" retrouvent une nouvelle jeunesse parmi certains "pro-palestiniens".
- Au nom d'une notion très particulière de la "continuité historique", certains défenseurs d'Israël désigneront tous les tenants de la cause palestinienne comme des avatars de nazis, et, dans le même ordre d'idée, soupçonneront toute critique de la politique de l'état d'Israël d'être motivée par l'antisémitisme.
Ces perversions de l'intellect, bien sûr, s'alimentent l'une l'autre, et poser la question de "qui a commencé", c'est poser celle de la poule et de l'oeuf. Quoiqu'il en soit les termes d'une "question juive" historiquement européenne viennent se greffer, pour le pire, sur une réalité, somme toute, proche-orientale. Or, comme le démontre Esther Benbassa dans un récent hors-série de la revue "L'Histoire" consacré au problème Israélo-Palestinien ("les Collections de l'Histoire", Avril 2008, p.55), "Israël n'est pas une réponse à Auschwitz" même si, historiquement, "le génocide a hâté la reconnaissance de l'Etat des Juifs": ici comme ailleurs les choses sont beaucoup plus compliquées que çà, c'est bien ce qui gène les imbéciles, qui n'aiment rien tant que la simplicité.
Quels sont les termes réels, "raisonnables" du débat? J'ai tendance à penser qu'on peut résumer la question Israélo-Arabe à une question coloniale particulière.
Coloniale, car l'enjeu fondamental du conflit, en définitive, c'est la souveraineté sur une terre et son sous-sol (de l'eau, en l'occurrence) que se disputent deux peuples, et il se trouve que l'un de ces deux peuples domine militairement et politiquement l'autre. "Particulière" car d'une part la présence de Juifs en Palestine, même minoritaire, est un fait qui remonte à l'Antiquité (de façon plus certaine en tout cas que la présence de Français au Sénégal ou d'Anglais en Birmanie!), d'autre part parce que jusqu'à très récemment Juifs et non-Juifs de Palestine étaient sujets d'empires (romain, abasside, ottoman, britannique, j'en oublie) qui les dominaient de façon indistincte: "çà crée des liens", comme on dit.
Mais "particulière" ou pas, cette question coloniale est difficile à résoudre quand l'appétit de terres et l'arrogance des uns (les colons) vient quotidiennement nourrir la colère des autres (les colonisés). Lorsque par ailleurs un Etat qui prétend "ne vouloir que se défendre" pratique année après année une Loi du Talion revisitée par un sous-off' de la Légion Etrangère ("Pour un oeil, les deux yeux; pour une dent, toute la gueule"). Et lorsque de part et d'autre les imbéciles (Goush Emounim, Hamas) entretiennent les braises du conflit.
A cet égard, cependant, ces derniers temps, la bêtise est inégalement répartie: sachant qu'Israël bénéficie du soutien inconditionnel et indéfectible des Etats-Unis, l'enjeu pour les Palestiniens n'est pas militaire mais diplomatique: il s'agit de convaincre de la justesse de leurs revendications non l'Amérique (c'est sans espoir) mais l'Europe, pour tâcher de faire contrepoids. Or, avec ses roquettes lancées au pif sur des civils, la "cause palestinienne" commence à user les patiences, de ce côté-ci de l'Atlantique. Tandis que les imbéciles d'Israël se croient excusés par leur peur, ceux de Palestine croient qu'on leur pardonnera tout, un jour, à cause de l'injustice. Les uns et les autres ont tort, mais les uns gagnent la terre et les autres la perdent.
Si l'Europe, quoiqu'il en soit, veut contribuer à résoudre ce conflit, elle doit à tout prix déjouer les pièges de la conjuration des imbéciles, d'ici et de là-bas. A moins qu'elle ne se contrefoute de tout çà, au fond. Existe-t'elle seulement, en l'occurrence?
A bientôt