C’est l’histoire d’un
mec, il se sait condamné par la maladie à brève échéance. Alors il prend un
flingue, entre dans la cathédrale de Notre-Dame de Paris, se place près de
l’autel et se tire une balle dans la tête. Dominique Venner, il s’appelle. Pas
n’importe qui. Un vieux baroudeur des terres algériennes perdues, condamné pour
activités en lien avec l’OAS, passionné d’armes à feu et essayiste virulent obsédé
par la perspective du « grand remplacement » (entendez la
substitution, à terme, des français/européens
« de souche » par une population d’origine immigrée) et, plus récemment,
par la perspective du droit au mariage et à l’adoption pour les homosexuels - signe
supplémentaire d’un « déclin de l’occident » entamé, pour cette
frange de l’opinion, dans les tranchées de Diên Biên Phù si ce n’est dans les
ruines de Berlin.
L’intéressé aura
ouvertement voulu s’inscrire dans la lignée d’autres suicidés célèbres –
Montherlant, Drieu La Rochelle, Mishima – et donner un sens à son geste.
« Interpeller les consciences », « réveiller la France »,
les interprétations voulues par l’auteur du suicide se déclinent à l’infini
autour du thème d’un « choc » qu’il semble vouloir salvateur, à tout le moins rédempteur (racheter,
par un acte extrême, les « fautes » d’un pays ayant sombré dans la décadence), notion de rédemption fortement suggérée par le choix même du lieu où
Dominique Venner aura choisi de répandre sa cervelle – le blanc immaculé de
l’autel d’une cathédrale. Ce faisant ce n’est pas sa vie, irrémédiablement
compromise, qu’il « met au bout de ses idées », mais sa mort.
Il serait vain de
souligner l’éventuelle vanité d’un tel geste, et particulièrement indécent
d’ergoter sur la réalité du « choc » désiré par l’auteur du suicide.
D’abord parce qu’il n’est plus là pour répondre a ces éventuelles remarques, ensuite
parce que les exemples sont innombrables d'appropriation symbolique de la mort, qui ne sont pas moins farfelues ou exagérées que
ne le serait la lecture de cette mort-là, telle que souhaitée par l’intéressé. « Moi
qui suis mort à la guerre, de n’avoir pu faire autrement », se lamentait
la statue de la chanson de Jacques Brel, exaspérée qu’un « enfant de
salaud » ait fait graver « il est mort comme un héros, il est mort
comme on ne meurt plus » sur son socle.
En revanche, on
s’attardera sur les termes employés par Marine Le Pen pour commenter l’événement :
« un acte politique », a-t-elle affirmé.
Là, ça devient intéressant.
Depuis des années s’est installée l’évidence d’une banalisation du Front National, banalisation incarnée
par l’accession à la tête du parti, dans le sillage de Marine, de petits jeunes
BCBG au parler policé, débarrassés des outrances verbales du fondateur du F.N. ou de ses figures historiques comme Roger Holeindre, dit « Popeye ».
Normalisation nourrie par (ou nourrissant – la poule ou l’œuf) des rapprochements
tactiques, en attendant d’être stratégiques, avec une partie de la droite
parlementaire. Dans ce contexte, le commentaire de Marine Le Pen prend l’allure
du « surgissement d’un refoulé » comme diraient les psychanalystes.
La mouche dans le lait, en quelque sorte.
Car que nous signifie Marine,
en qualifiant le geste de Dominique Venner de « politique » ?
Elle nous dit que la mort, à partir du moment où elle est mise en scène, théâtralisée
– mourir à Notre-Dame – de façon adéquate peut être porteuse d’un message qu’il convient de prendre en
compte dans la vie de la cité (le « politique »). En quoi le message en question peut bien consister, au fond, importe
moins que le fait même d’envisager de
traduire un geste violent en élément de discours. Cette propension à opérer une
transmutation du sang répandu en message aux vivants n’est certainement pas l’apanage de l’extrême-droite.
En revanche, elle témoigne d’une vision du politique où subsiste un sens aigu
du tragique. Elle témoigne aussi d'une incapacité à s’inscrire dans ce qu’on appelle une
« démocratie apaisée ».
La version extrême -
chimiquement pure - de cette conception du politique est bien connue :
c’est ce qu’on appelle communément le terrorisme, quelle que soit son
inspiration. Lorsque des gens de l’ETA abattent un policier de sang-froid,
lorsque la Fraction Armée Rouge enlève et assassine Hans-Martin Schleyer, le
« patron des patrons allemand »,
lorsque Mohammed Atta précipite des avions de ligne sur le World Trade
Center, à leurs propres yeux comme à ceux de leurs admirateurs ils mènent des
actions « politiques ». Cette façon de « s’exprimer »
vient bien évidemment heurter de plein fouet la relative tranquillité de sociétés
occidentales d’où la violence a été exclue en tant que forme légitime d’expression.
Ce « choc » est à la fois le media et le message lui-même.
Lorsque Marine Le Pen confère
un caractère politique à une autre forme de « choc » - le suicide de
Dominique Venner – elle nous dit
implicitement que se tirer publiquement une
balle dans le ciboulot pour « réveiller la conscience » d’un peuple anesthésié,
de surcroit gouverné par des sociaux-démocrates
- « robinets d’eau tiède » qu’elle honnit avec la même intensité
que ne le font les « rouges » - c’est un geste admirable à ses yeux ,
que « ça a de la gueule ». Mais dès lors elle compromet un processus
de banalisation par ailleurs en bonne voie.
Car sur la scène
politique qu’elle entend un jour dominer, celle d’un pays dont, quoi qu’en
disent certains illuminés des « manifs pour tous », le gouvernement
n’est pas de nature autoritaire, la mort et le sang ne sont pas supposés être
des arguments. Lorsqu’un bonze tibétain ou un petit marchand de rue tunisien
s’immolent publiquement, c’est avec leur mort, à défaut de leur vie, qu’ils
portent un discours proprement politique. Mais Dominique Venner tenait un blog,
et jusqu'à plus ample informé cela ne lui a pas valu de se retrouver en taule
ni d’être torturé. Son acte spectaculaire n’est pas une alternative à une activité
qu’empêcherait une répression gouvernementale, elle en est simplement le
prolongement, en sus des considérations personnelles d’un homme choisissant les
modalités de sa disparition. Il n’en constitue pas pour autant un message
politique pertinent, lorsque la cité se
donne une agora intrinsèquement définie comme un lieu d’où est précisément
bannie cette forme de langage.
En
« politisant » la mort spectaculaire de Dominique Venner, Marine Le
Pen non seulement se la raconte (Francois Hollande n’est pas Zine Ben Ali),
mais de surcroit elle nous confirme qu’en dépit des apparences son parti
politique n’est pas un acteur parmi d’autres, dont le profil se noierait dans
le paysage.
Caramba, encore raté.
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