Ce dont je ne me souvenais pas, c'est que lorsque "Time" choisit son homme ou sa femme de l'année, la rédaction hésite en général entre plusieurs personnalités: de fait le magazine dresse , dans son numéro de décembre-janvier, un portrait des autres nominés, par ordre décroissant d'éligibilité. Or qui peut-on découvrir en troisième position, entre Henry Paulson et Sarah Palin? Le Dalaï-lama? Dany Boon? Martine Aubry? Benoît XVI? Bernard Madoff? Kim Jong-Il? Non non. C'est une autre espèce de bipède que le monde entier est désormais sommé de nous envier, car c'est bien d'un français qu'il s'agit. Un être dont les tribulations quotidiennes constituent depuis dix-huit mois LA pulsation de la vie politique hexagonale, continentale et même mondiale - en attendant que les progrès de la conquête spatiale permettent d'y associer les extra-terrestres, j'ai nommé, vous l'aurez deviné, Nicolas Sarkozy, le seul, l'unique.
Cela étant dit, on note que l'hyper-président n'est arrivé que troisième dans la grande course de la notabilité médiatique globale. Somme toute, une performance limite humiliante, même pas digne d'un Raymond Poulidor.
Tout de même, j'en ai été pour mes frais question dépaysement. Toutes proportions gardées, je me suis senti un peu comme "numéro six", le héros de la série "Le Prisonnier": lorsqu'il croit qu'il a enfin réussi à s'évader de cette foutue colonie, une grosse boule blanche le rattrape et le cauchemar recommence.
Un malheur n'arrivant jamais seul, "Time" n'a pas trouvé mieux, pour rédiger l'article hagiographique consacré à la lumière vivante de l'Elysée, que Tony Blair. Si si, Tony Blair. Lequel en fait des tonnes dans la manipulation de la brosse à reluire, dans un article organisé en quatre points:
- Nicolas Sarkozy est un vrai décideur: il voit un problème, hop il décide de le résoudre
- Il est capable de "sortir du cadre" (think outside the box) en allant par exemple chercher des socialistes pour constituer son gouvernement, Blair citant en exemple "l'immensément capable"... Bernard Kouchner
- Il a "remis la France sur la carte" - je traduis mot à mot - notamment à travers son rapprochement d'avec les Etats-Unis
- Enfin c'est un homme d'action, comme l'a démontré la présidence française de l'Union Européenne
"Time magazine"est loin d'être le journal le plus fufute de la presse américaine, enfin tout de même il y a plus idiot, dans le genre. Mais là, il faut reconnaître qu'ils ont fait très fort. D'abord , bien sûr, en plaçant l'histrion de l'Elysée dans leur palmarès. Ensuite en allant chercher Tony Blair, qui a su prouver au monde entier à quel point il avait de la jugeote et de l'honnêteté: c'est tout de même un type qui, à coups de mensonges gros comme lui, a réussi à entraîner une vieille et sage nation européenne dans l'aventure militaire la plus stupide qu'on ait connue depuis la campagne du Mexique de Napoléon III. Enfin, en laissant ce bonimenteur publier un tissu de conneries tellement énormes qu'elles feraient passer un communiqué de l'Elysée pour un modèle d'objectivité. Il n'y a, dans cet article, pas l'ombre d'un début de commencement de lucidité. Aucune analyse, mais une accumulation d'affirmations où la description des postures Sarkozyennes tient lieu de récit de la réalité: Tony Blair produit un boulot comparable à celui de ces journalistes qui se contentent de recopier les communiqués de presse.
Nul n'est prophète en son pays, dit-on. On sait désormais que l'alignement de Sarkozy sur la diplomatie américaine lui aura au moins rapporté l'admiration sans borne d'un homme que ses concitoyens surnommèrent le caniche de George W. Bush. Le chenil se remplit. Qu'un média de diffusion aussi large que "Time" se soit prêté à cette mascarade n'est cependant pas pour rassurer.
Remarquez, on peut également lire ce palmarès d'une autre façon: Nicolas Sarkozy serait à mi-chemin entre Henry Paulson et Sarah Palin, autrement dit entre la tentative pathétique de sauvegarder l'idéologie du marché et la caricature de la démagogie - moins con que la colistière de John Mac Cain et un peu moins calamiteux que le Secrétaire au Trésor.
Je doute que soit la façon dont les rédacteurs de "Time" souhaitent qu'on interprète ce classement, mais on se console comme on peut.
Allez, bonne année à tous