On avait souligné ici-même que le débat Bessonesque sur l'"identité nationale" ajoutait à l'électoralisme cynique le ridicule le plus achevé. J'étais loin cependant d'imaginer qu'il barrerait aussi vite et aussi ouvertement en sucette. A l'heure où j'écris, les éditorialistes débattent, justement, de l'opportunité de continuer de débattre de cette "identité" tant se multiplient, ces derniers jours, les "verbatims" plus ou moins spectaculaires, issus comme autant de flatulences d'un trop plein d'ignorance, de haine, de mépris. Ce "débat" est décidément un piège à cons d'une redoutable efficacité: pas étonnant qu'on retrouve certains hérauts du Sarkozysme dans ses filets.
On déplore, en particulier, que les discussions autour de l'"identité nationale" en soient venues à se focaliser sur la question de l'Islam. Comme si ça ne suffisait pas, les hasards (?) du calendrier font que la "mission parlementaire sur le voile intégral" arrive à son terme et que les ministres s'interrogent doctement sur l'opportunité de légiférer à ce sujet. Grave question, en effet, dont l'urgence ne fait certainement aucun doute, le jour même où l'INSEE pronostique 100 000 destructions d'emplois en 2010.
La question de savoir si l'Islam est "franco-compatible" serait donc le diable sorti de la boîte du conciliabule identitaire des Hexagons. Pourtant, si on y réfléchit bien, la question de la compatibilité de la foi musulmane avec une "identité française", quoiqu'on entende par là, est étonnamment nouvelle.
Il est une institution de la République que l'extrême-droite et tous les excités du tricolore ont de tout temps respecté: l'Armée. La défense envers et contre tout de cette institution est même le marqueur identitaire historique de cette mouvance politique, de l'affaire Dreyfus à la bataille d'Alger. Or l'Armée, même imparfaitement, s'est toujours accomodée de la présence de musulmans en son sein, et la préparation de repas sans porc par les popotes de l'"ordinaire" n'a jamais posé aucun problème. Des Zouaves de naguère aux engagés d'aujourd'hui en passant par les Tabors de Monte Cassino, l'obligation de prier cinq fois par jour en se tournant vers la Mecque s'avère parfaitement compatible avec la qualité de soldat français. Donc de Français tout court, si on en croit l'expression, très prisée notamment du côté de chez Le Pen, de "Français par le sang versé". Alors quoi?
Alors il y a que cette évocation ad nauseam d'un "problème" de l'Islam ou des musulmans est une vaste mascarade. Aujourd'hui, on débat de la question des "musulmans" comme dans les années trente on débattait de la question des "israélites". "Israélites", c'était le terme qu'employait la bonne bourgeoisie de droite pour ne pas dire "Juifs", soit parce que le mot lui écorchait la gueule, soit pour ne pas être assimilée au vulgum pecus des antisémites de la rue, soit les deux. On parle de "musulman" pour ne pas dire "Arabe", punto, basta.
L'extrême droite et la droite musclée (ou plutôt "décomplexée", pour reprendre un mot dans l'air du temps) n'ont en vérité aucun problème avec l'Islam. Tout au bout de cet arc idéologique, les nostalgiques du nazisme pourront même lui trouver des vertus, au souvenir d'Amin-Al-Husseini, le grand mufti de Jerusalem rallié à Hitler, et de la division de Waffen-SS Handschar, composée de musulmans bosniaques. Et puis n'oublions pas: durant 130 ans on pouvait clamer "l'Algérie c'est la France", comme disait un ancien activiste d'extrême-droite ayant fait carrière au centre-gauche. Pourtant l'Algérie, aujourd'hui comme hier, c'est une partie du monde truffée de mosquées où on croise des femmes voilées à tous les coins de rue.
Alors cette "islamophobie" plus ou moins explicite que le "grand débat" met en lumière n'est rien d'autre que le nouveau faux-nez du bon vieux racisme anti-Arabes, nourri du colonialisme puis de la décolonisation. Si tous les maghrébins de France étaient scientologues, et inversement, nul doute que l'église de Scientologie aurait du mal à s'implanter sur le territoire.
Que le port du niqab soit difficilement compatible avec la conception républicaine du statut de la femme, une intégration sociale et administrative harmonieuse et la pratique assidue de la bicyclette, c'est indéniable. Mais de grâce qu'on cesse d'en faire tout un fromage "identitaire".
J'ai longtemps vécu dans une banlieue proche de Paris où la communauté juive comprenait une proportion importante d'ultra-religieux genre Loubavitch. Ces derniers, chaque vendredi soir, ouvraient la porte équipée d'un digicode à tous les vents pour respecter le shabbat. Ca a fini par énerver tous les non-Juifs et Juifs-non-Loubavitch de l'immeuble, tant et si bien que ces très pieux voisins se sont résignés à laisser la porte fermée et à attendre qu'un goy ou un coreligionnaire plus insouciant l'ouvre pour eux. Mais à aucun moment, dans ce cas particulier de contradiction entre une foi minoritaire et une vie sociale paisible, on ne s'est posé la question de l'"identité nationale" de l'immeuble. Si on ne se la pose que lorsqu'on parle d'une pratique plus ou moins assidue de l'Islam, et seulement de l'Islam, c'est qu'on ne tolère les Arabes et les Kabyles que lorsqu'ils portent l'uniforme du soldat qu'on sacrifie ou le bleu de travail du prolo qu'on méprise, l'un et l'autre invisibles et silencieux.
Eric Besson, encouragé par son maîmaître, a joué les de Gaulle s'adressant à la foule des Algérois en 1958. A tous les Dupont-Lajoie de 2009 il adresse un "je vous ai compris", sous-entendu: "c'est quand même génant, tous ces Arabes". Message reçu, cinq sur cinq.
Ciao, belli
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