En janvier 2011, à moins d'un improbable coup de théâtre qui verrait les militants du FN lui préférer Bruno Gollnisch (au demeurant charismatique comme une endive), Marine Le Pen succédera à son paternel à la tête du Front National. Elle devrait dès lors entamer officiellement sa campagne pour la présidentielle... même si, en réalité, d'autres se sont déjà chargés de lui dégager un boulevard: j'entends par là la machine politique Sarkozyenne, dont le principal impact sur le paysage politique français aura été de créer les conditions d'une amplification du vote FN.
Comment,
direz vous, mais bien au contraire, voyons,
Nicolas Sarkozy a marginalisé le parti
d'extrême-droite en "pompant" allègrement ses thèmes de campagne en 2007... Foutaises: le coup de semonce
d'Hénin-Beaumont, il y a un an, infirmait déjà la théorie du
siphonnage des voix
FN, nous en avions longuement parlé
ici. L'effondrement du
business model Sarkozy pour la "reconquête de l'électorat populaire", avec le bruyant retour du thème du pouvoir (et) de l'argent, relève désormais de l'évidence.
En construisant son argumentaire de campagne en 2007, Nicolas Sarkozy avait usé d'un puissant levier: la promesse de la résolution du mal-être/mal-vivre frappant les milieux populaires confrontés à la violence urbaine d'une part, à une "multi-culturalité" parfois déstabilisante et non-désirée d'autre part. Je sais qu'il est de bon ton de déconnecter la seconde de la première si on entend ne pas être taxé de xénophobie ou de racisme: le fait est, cependant, qu'il y a juxtaposition des deux phénomènes, à tout le moins sur le plan géographique - les fameuses "cités" et leur environnement immédiat. Juxtaposition ne signifie pas, lorsqu'on fait un tant soit peu fonctionner ses neurones, lien de cause à effet: le chômage, la dégradation des conditions de logement, la dislocation des liens sociaux, l'abandon du "terrain" par les services publics sont bien évidemment les "variables explicatives" de la délinquance. Mais lorsqu'on est confronté à cette dernière au jour le jour, il y a de fortes probabilités qu'un citoyen "raisonnable" en vienne d'abord à se contrefoutre des arguments sociologiques ("bon, admettons, mais là, tout de suite, on fait quoi?"), puis à adhérer à des explications essentialistes ("J'suis pas raciste/mais quand même les bicots/chaque fois qu'y a un sale coup/ben y faut qu'y z'en soient" comme le faisait dire Renaud au "boulanger du coin" dans l'une de ses chansons), enfin à approuver des "solutions" articulées autour de la stigmatisation de l'étranger. C'est en pariant implicitement - voire explicitement - sur cet enchaînement que la campagne Sarkozy de 2007 a coupé l'herbe sous le pied de Jean-Marie Le Pen.
Seulement voilà: au delà du désastreux échec de la politique sécuritaire (les événements récents de Grenoble en étant une illustration), au delà de l'escamotage du "plan Marshall des banlieues", au delà de la déroute du "débat sur l'identité nationale" - autant de promesses non tenues à l'électorat FN- un tapis rouge est déroulé sous les pieds de l'extrême-droite car le pas de deux entamé par Sarkozy avec les thèmes du Front National a, dès le départ, négligé deux faits fondamentaux:
Le premier, historique, est que le couple ordre/identité n'est pas le seul ressort de la popularité des thèses d'extrême-droite: s'y ajoute la détestation de l'argent-roi et de la corruption. Qu'on se souvienne qu'à l'origine des émeutes du 6 Février 1934, il y a l'affaire Stavisky. La "république des copains et des coquins" risque d'être qualifiée de "gueuse" (glissement du "Canard Enchaîné" à "Rivarol") pour peu que soit manifeste, en temps de crise et de "sacrifices", une collusion entre le pouvoir de l'argent et le pouvoir tout court: nous y sommes avec le feuilleton Woerth-Bettencourt, en attendant que ne se déroule la prometteuse pelote du financement des "micro-partis". La question de l'argent et du pouvoir, qui n'est pas nouvelle, aurait pu rester relativement marginale n'eût été, avec le Sarkozysme, la rupture d'un pacte entre l'Etat et les classes moyennes/moyennes inférieures: le détricotage systématique, au nom de la "réforme", d'un tissu d'emplois publics dont on fustige la redondance et les "privilèges" de ceux qui les occupent.
Le second, conjoncturel, est l'effacement prévisible de la personne même de Jean-Marie Le Pen. Il ne fallait pas être Paul-le-poulpe, en 2007, pour envisager que sa fille Marine pourrait reprendre son flambeau. Or ce changement de leadership a des conséquences considérables. Grâce à son patronyme, véritable "capital-image" largement nourri par son père au cours des dernières décennies, Marine n'a nul besoin d'en faire des wagons pour stimuler les réflexes xénophobes ou racistes. Elle peut se garder par ailleurs de touiller la marmite de l'Histoire (le "détail") pour rallier les survivants de l'extrême-droite-canal-historique. Ces derniers en seront peut-être un peu frustrés, mais nul risque qu'ils ne quittent le navire en période électorale, ils n'ont pas d'alternative crédible. Dès lors s'effaceront progressivement les preuves d'un caractère sulfureux du vote FN.
Les thèmes de l'immigration, de la sécurité et de l'identité nationale ayant été sciemment - mais vainement - "mixés" par les apprentis-DJ au pouvoir depuis 2007, la marque Le Pen garantissant sur ce "mix" un surcroît d'authenticité, restera à Marine à entonner avec application un "tous pourris/sortons les sortants", ce qu'elle a d'ores et déjà commencé à faire. Dès lors il est assez comique d'entendre des représentants de l'UMP (Juppé, entre autres) s'en prendre à une gauche qui, en fustigeant les dérives ploutocratiques du pouvoir, ferait le "jeu du Front National". C'est vraiment la passoire qui traite le couscoussier d'objet percé, comme on dit en Afrique. Hortefeux, ou Boute-Feu?
Sarkozy a sans aucun doute inversé la pompe à siphonner les voix. Celà étant, la gauche n'a plus le droit de négliger les peurs et l'exaspération des milieux populaires, en deçà ou au delà des questions sociales. Pas sûr que la très floue notion de "care" constitue un étendard très rassembleur. Le "care", nid d'abscons, il va peut-être falloir trouver quelque chose d'un peu plus explicite si on veut résister à l'assaut de la Marine.
See you, guys
1 commentaire:
Le care...
Martine Aubry m'avait fait penser à Jean-Claude Van Damme quand il est "aware"!
Ca m'avait fait rire. Mais c'était pour pas pleurer.
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