mardi 15 avril 2014

Marine Le Pen, nouvelle crème franco-russe

Se construire une stature internationale, lorsqu'on fait de la politique, ça prend généralement des années. Surtout si on est dans l'opposition, et de façon durable a priori - par exemple lorsqu'on porte l'étendard d'un mouvement comme le Front National français. Il faut, comme on dit, "se créer des opportunités" et faire parler de soi. Pas facile. Quelquefois ça tourne en eau de boudin, Marine Le Pen ne fut pas reçue à bras ouverts en Israël et ce voyage fut, il faut bien le dire, un bide monstrueux. Mais bon, Israël, hein, en même temps, c'était peut-être pousser un petit peu mémé dans les orties, à ce stade encore prématuré de la fameuse "dé-diabolisation"  du Front National. Qu'à cela ne tienne, le monde est vaste, après tout Israël c'est beaucoup d'Histoire mais bien peu de Géographie, si on regarde bien.
Alors est-ce l'appel des grands espaces qui a amené Marine Le Pen à se rendre pour la deuxième fois ce week-end à Moscou, capitale du plus grand pays du monde? C'est possible, mais on peut douter que l'agoraphilie soit la seule motivation de ce voyage, qui a pris des allures de "déplacement officiel", avec l'occasion qui a été donnée à la présidente du F.N. de rencontrer le président de la Douma, la chambre basse de la Fédération de Russie.
La Russie, ces temps-ci, il n'aura échappé à personne qu'elle fait un poil figure de va-t-en-guerre, non seulement aux yeux des diplomates mais aussi à ceux de la plupart des éditorialistes. Cependant cette mise au pilori d'une "volonté de puissance" qui vient étouffer les aspirations "démocratiques" de la (relativement) petite Ukraine manque, c'est certain, parfois de nuances et, surtout, de lucidité. Cette condamnation de la Russie oublie parfois la désinvolture avec laquelle les occidentaux ont amputé la Serbie du Kosovo - tout ça pour créer une sous-Albanie survivant sous perfusion internationale, carrefour de tous les trafics, tu parles d'un progrès - et par ailleurs peut faire l'impasse sur la question de savoir comment réagiraient les Etats-Unis s'il prenait l'envie au Mexique de se rapprocher du Venezuela ou de Cuba - remember La Grenade.
Il n'empêche que les agissements de la Russie il y a peu en Crimée et, plus récemment, à l'est de l'Ukraine, n'ont rien pour déclencher l'enthousiasme. A tout le moins, l'enthousiasme de ceux pour qui la ploutocratie autoritaire actuellement aux manettes à Moscou fait figure de repoussoir, dont votre serviteur.
Ben justement, c'est en partie ça, le trucLors d'une conférence de presse, Marine Le Pen a déclaré qu'elle s'opposait aux sanctions décidées par l'Union Européenne et les Etats-Unis à l'encontre de certains intérêts russes (et de certains Russes tout court, dont son hôte Serguei Narychkine), déplorant qu'"au sein" de l'Union Européenne une "guerre froide" ait été "déclarée" à la Russie, "ce qui nuit à nos relations". Le truc c'est en partie ça, car en se démarquant du quasi consensus au sein de la classe politique française sur l'attitude à adopter face à la diplomatie musclée de Poutine, Marine Le Pen se prouve, et prouve à ses électeurs actuels ou potentiels, qu'elle est différente.
Mais en partie seulement car il y a, dans ce "positionnement" quelque chose de plus profond qu'un simple démarquage de circonstance: le rejet viscéral d'un "Occident" - dans lequel est amalgamée la construction Européenne - auquel on oppose les "vraies nations", en premier lieu la France. En cela, elle est quasiment sur la même ligne qu'un Mélenchon (ou, naguère, un Chevènement) qui s'est récemment inquiété de l'arrivée au pouvoir de "fascistes" à Kiev. L'ennemi, à la fin des fins, c'est avant tout la démocratie libérale et son leadership américain (l'Europe, dans cette vision, n'en étant qu'un cache-sexe), et le déclin des "valeurs" dont son avènement est porteur.
Flash-back: il y a un peu plus de trente ans, les intellectuels de la "nouvelle droite" (Alain De Benoist, Guillaume Faye, et bien d'autres) avaient ouvertement prôné le rejet de l'"Occident" - davantage en faveur d'une vision européenne que nationale, notons-le - rompant bruyamment avec des décennies d'anti-soviétisme inconditionnel dans cette famille de pensée. Et au fondement de cette rupture radicale il y avait déjà (ou encore, c'est selon) la haine viscérale de deux "vices" originels, consubstantiels de l'"idée occidentale": le cosmopolitisme et "l'égalitarisme judéo-chrétien". Partant, l'Union Soviétique, dans sa version "sécularisée" (stalinienne notamment) - et accessoirement agitée de pulsions antisémites -, faisait figure de contre-modèle salutaire. Dans cette mouvance, certains y voyaient même un "bastion de la race blanche" face à une Amérique irrémédiablement métissée.
Dès lors le tropisme pro-Russe d'une Marine Le Pen, d'une certaine façon, vient de loin. Et il serait un peu court de se contenter de rire de la puérilité de prises de position publiques "pour tout ce qui est contre, contre tout ce qui est pour, et bisque bisque rage". Notons tout de même que, dans son élan, Marine Le Pen se retrouve à défendre l'idée d'une fédéralisation de l'Ukraine, "solution logique" à ses yeux. Ah bon? Pourquoi ce qui serait "logique" là-bas serait-il impensable en France? Parce que l'Ukraine est un pays de seconde zone, parce que l'unité et l'indivisibilité comme dogme, ça ne vaut que pour la grande et belle nation française? Parce que l'"identité nationale" version Ukrainienne c'est un truc dangereux, contrairement à celle qu'il convient d'exalter en France? C'est ça le problème avec les nationalistes, d'où qu'ils soient: ils ont du mal avec le nationalisme des autres.
Mais passons: l'important, dans cette histoire, c'est que la présidente du Front National nous laisse entrevoir une vision du monde qui n'a rien d'anecdotique. Même si c'est encore un peu brouillon, Marine Le Pen, mine de rien, se construit véritablement une stature internationale. Qui l'amène à se rapprocher du régime Poutinien, dont on se demande s'il est davantage mafieux qu'impérialiste, ou bien l'inverse.
Moins glamour que la lutte pour la "justice sociale" et contre le "capitalisme sauvage", moins porteuse que la "défense de la laïcité" à la sauce anti-musulmane, la politique internationale façon Marine Le Pen commence néanmoins à prendre forme. On le dit à ses électeurs, ou on garde ça pour nous?

Ciao, belli.


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