Bon, ben ça, c’est fait. Les couleuvres qu’on lui proposait à chaque repas s’étant, avec l’affaire de la déchéance de nationalité, transformées en boa constrictor, Christiane Taubira a fini par claquer sa démission du gouvernement. Exit, donc, la dernière personnalité franchement progressiste de cet aréopage « en responsabilité », comme ils disent.
Restons lucides: si cette démission provoque un « ouf » de soulagement tout aussi bruyant chez les partisans que chez les détracteurs de la désormais ex- Garde des Sceaux, il serait naïf de n’y voir qu’un sursaut moral dénué de tout calcul. En quittant le bateau, Christiane Taubira se préserve un avenir politique à gauche - à tout le moins à la gauche du gouvernement actuel, elle « prend date ». Mais calculé ou pas par l’intéressée, cet événement met la touche finale à la plus remarquable des réalisations de François Hollande: la dé-construction, pour un bon moment, du concept de « gauche de gouvernement ».
Nous étions quelques-uns, avant 2012 - pour tout dire, une majorité parmi les électeurs de gauche - à imaginer, comme alternative au cirque Sarkozy, une politique visant à davantage de justice sociale, mariant le souci de la régulation (notamment à but écologique) et une intelligence de l’économie de marché, une politique revalorisant la dépense publique en la rendant plus efficace, une politique réhabilitant l’impôt en le rendant plus lisible et plus juste, bref, une politique de gauche. Et donc à souhaiter l’arrivée au pouvoir d’une « gauche de gouvernement » social-démocrate et Européenne, écologiste et progressiste, sans complexes vis-à-vis des vociférateurs trotskistes, communistes, et autres. Mais de renoncement en humiliation - la capitulation sans conditions devant les « nains de Bruxelles » ou face aux mouvements des « pigeons » ou des « bonnets rouges », de paresse politique (pas de réforme de l’impôt sur le revenu) en trahison pure et simple (le « pacte de responsabilité ») , François Hollande a réussi, en moins de quatre ans, à annihiler pour longtemps cette aspiration. De fait, une grande partie des électeurs partageant cette vision s’abstiennent ou changent de crémerie, le parti socialiste n’est plus qu’une machine qui tourne à vide tandis que communes, départements, régions basculent à droite ou à l’extrême-droite.
Martine Aubry, suite aux résultats calamiteux des élections de Décembre 2015 (élections en vue de pourvoir les assemblées de tout aussi calamiteuses régions, soit dit en passant) a fait remarquer: « Sarkozy a tué la république, nous avons tué la politique ». Si le premier terme de cette sentence est sans doute excessif - vu notamment la médiocrité du bonhomme, le second est parfaitement juste: le gouvernement « socialiste », par ses actions et son inaction, a démonétisé pour un bon moment en France l’idée d’une alternative non-marxiste et non-souverainiste au néo-libéralisme et à la financiarisation de l’économie. Et donc, l’idée même d’une l’alternance démocratique qui ne soit pas qu’un changement de casting. De fait, l’idée de « gauche de gouvernement » ne correspond plus à rien dès lors qu’un gouvernement de gauche pratique une politique de droite - n’était, et contrairement à la droite, la volonté de plus ou moins préserver l’emploi public, enfin, pour le moment.
Considérer ces renoncements comme une fatalité, c’est à la fois accréditer la thèse thatchérienne du « TINA » (« There is no alternative ») et donner raison à l’extrême-gauche (les sociaux-démocrates ne sauraient être que des « sociaux-traîtres »), en d’autres termes c’est faire plaisir à beaucoup d’imbéciles. Nous nous en garderons, donc, et ne saurons voir dans le « Hollandisme » qu’un projet politique particulier, distinct d’une authentique politique de gauche.
Quel est-il, ce projet? Sa finalité est profondément conservatrice: assurer la pérennité d’une oligarchie nationale - grands patrons, banquiers, hauts fonctionnaires - face aux aléas de la mondialisation, d’une part, face à une perte d’influence liée à l’autonomisation de la société, d’autre part. Par « autonomisation de la société », j’entends des phénomènes tout aussi divers que la localisation de l’économie (circuits courts, auto-suffisance énergétique…), la prise de conscience d’histoires collectives distinctes, la multiplication des « initiatives citoyennes » (pétitions, « ZADisme », actions politiques hors-partis) ou les nouvelles formes d’échange que permet le numérique.
Dans le cadre de ce projet, l’Europe est un moyen, non un but, pour autant qu’elle ne remette pas en cause les Etats-Nations en tant que cadre politique - cadre consubstantiel de ce pouvoir oligarchique - en ce qu’elle offre un espace d’expansion à ses acteurs. Accessoirement, l’Europe est également une excuse commode à tous les renoncements: par exemple, aucune mesure à ce jour n’a été prise à l’encontre des produits financiers dérivés, notoirement nocifs. On accusera les « blocages au niveau européen », alors qu’en vérité c’est le lobby des banques françaises, leaders mondiales sur ce type de produits, qui a tout fait pour que les représentants français s’y opposent…
Ce projet suppose également une « neutralisation » du politique en tant que facteur d’incertitude: tout comme en matière financière, la prévisibilité est essentielle. Cela étant, l’alternance est possible et en l’occurrence, le pouvoir « Hollandiste » est sérieusement menacé par ce qu’on appelle la « droite parlementaire », dont la plupart des acteurs partagent ce projet de défense de l’oligarchie nationale. On s’en distinguera donc en prônant un certain libéralisme moral et en se détournant avec mépris des questions « identitaires »: le débat politique sera « neutralisé » en ce sens que ne seront remis en question ni le pouvoir oligarchique ni les « réformes nécessaires » accompagnant son maintien dans une perspective néo-libérale. Dans ce contexte, la nomination d’un Manuel Valls à Matignon - insulte s’il en est aux électeurs de gauche ayant participé à la « primaire » en 2011 - et celle de l’énergumène Macron à l’Economie, autre insulte - ne sont que des symptômes de ce projet politique qui, précisément, affiche le plus souverain mépris pour les « naïfs » qui croient aux vraies alternances.
Après les départs de Cécile Duflot, d’Arnaud Montebourg et de Benoît Hamon, ne restait au gouvernement Valls comme personnalité de gauche un tant soit peu crédible que Christiane Taubira. Elle jouait certes un rôle important dans le dispositif « Hollandiste » - manifester son inscription dans une gauche morale, humaniste - mais, sur le fond, elle posait problème: Hollande étant très occupé à courtiser les électeurs de centre-droit voire de droite (la tactique de la « triangulation » ), la présence de cette femme commençait à faire désordre. Sa démission est donc une aubaine, le gouvernement est désormais véritablement homogène.
Dégager Taubira, ça, c’est fait, enfin seuls.
Des esprits chagrins remarqueront que cette « normalisation » (au sens soviétique du mot) de la « gauche de gouvernement » n’est pas pour rien dans la montée du Front National et le déploreront. Oui mais justement: pour avoir une chance de se maintenir au pouvoir - et donc mobiliser le « peuple de gauche » - le « Hollandisme » n’a qu’un espoir, celui d’apparaître comme un rempart contre Marine Le Pen. Pour cela, il convient de ne laisser aucun espace politique entre lui et le FN. Or une Christiane Taubira permettait à une certaine forme de contestation de droite (critique du « laxisme », sans oublier les hurlements des demeurés de la « Manif pour Tous ») de se cristalliser et donc d’exister.
Dans un sketch de 1978 intitulé « Le candidat des cons », Patrick Font déclamait « Je ne veux pas le pouvoir pour le pouvoir, mais le pouvoir pour pouvoir… pouvoir ». En 2011 puis en 2012, j’ai cru voter pour le candidat de la gauche du possible, pour le candidat des sociaux-démocrates assumés. Pas pour un gros malin qui ferait à peu près le contraire de ce qu’il avait dit puis jonglerait pour « pouvoir… pouvoir ». En fait, je crois bien que j’ai voté pour le « candidat des cons ». Il n’y a pas que moi, remarquez.
Ciao, belli
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