lundi 11 juin 2007

Paint it Black

Au vu des commentaires que j'ai pu glaner ici et là en ce lendemain de premier tour des législatives, je m'engage solennellement à bannir de ces lignes les expressions "vague/déferlante/tsunami bleu(e)". Par souci d'originalité, bien sûr: si mes lecteurs et lectrices ne retrouvent ici que du copier-coller de leurs médias habituels, ils vont vite se lasser. Mais aussi et surtout parce que je perçois, derrière derrière cette "colorisation" de la chose politique un mélange de paresse intellectuelle et d'expression euphémique du réel, en clair et pour parler crûment, une astuce pour cacher la merde au chat.
Souvenez-vous, c'était il y a cinq ans: Juppé cherchait un nom pour son "machin", à savoir la fusion du RPR et des différentes familles qui composaient l'UDF à l'époque. Voilà qu'un beau matin on entend à la radio qu'un des résultats des intenses cogitations en cours, c'était d'appeler çà "La Maison Bleue". Normalement, cette proposition n'aurait jamais dû "sortir" dans les médias, tant le grotesque de l'idée frisait le canular. Mais non: "les cons, ça ose tout, c'est même à çà qu'on les reconnaît", disait Michel Audiard. Alain Juppé s'empressa d'expliquer doctement qu'il trouvait l'expression sympathique... Jusqu'à ce que quelqu'un lui rappelle que l'image evoquait une chanson aux accents hippies, truffée d'allusions à des valeurs un tantinet éloignées de l'exaltation béate de la performance économique. Bref, un truc de soixante-huitard. Oups, rétro-pédalage immédiat du Juppé, qui se rabat sur l'UMP que nous connaissons tous. Union pour une Majorité Présidentielle ou pour un Mouvement Populaire, on s'en fout un peu, ça ne veut pas dire grand-chose, à tout le moins on évite de désespérer Neuilly-Auteuil-Passy.
Cependant le pli était pris: désormais on userait volontiers du bleu pour symboliser la Droite, par contraste avec le drapeau rouge des néo- et paléo-bolchéviques, la rose des Socialistes, etc... Outre le côté pratique pour les infographistes de la télévision en cas de soirée électorale, cette "colorisation" présente, nous y revoilà, l'indéniable avantage d'éviter le substantif "Droite", susceptible de susciter des freins parmi un nombre certain d'électeurs - même si l'air du temps a depuis longtemps dédramatisé la chose. Jusqu'en 1981 la Droite se désignait elle-même par le terme de "majorité", ensuite forcément elle devint l'"opposition" puis de nouveau "la majorité", il semblerait qu'aujourd'hui il convienne de parler de "mouvement bleu". C'est sympa le bleu, ça connote le ciel, la mer, la fraîcheur, la sérénité, la liberté...
Pas de quoi en faire un plat, me direz-vous: dans le même registre, le MoDem (à bas débit: ni droite, ni gauche, ni électeurs, finalement) de François Bayrou a opté pour l'orange, histoire de se différencier visuellement des copains, et tout le monde trouve ça normal. Après tout l'époque est à la "communication", avec tout ce que cela suppose de raccourcis sémantiques: il faut faire rapide et simple, surtout ne pas trop mobiliser le cerveau, des fois qu'il n'en reste pas d'espace disponible pour Coca-Cola...
Mais l'usage jusqu'à l'écoeurement de l'expression "vague bleue"dans les médias, ces dernières vingt-quatre heures, est également à mes yeux un autre symptôme de la spectaculaire carabistouille que Sarkozy et ses affidés nous servent depuis le 6 Mai: plutôt que d'admettre qu'une vision de la société l'a emporté contre une autre, on nous sort implicitement la fable du consensus. Plutôt que de laisser accroire que des alternatives et donc une alternance sont envisageables, on cherche à nous embobiner dans l'illusion d'un rassemblement des bonnes volontés - l'"ouverture" - rassemblement auquel il serait inconvenant de s'opposer.
Il est vrai que le PS, par les temps qui courent, ressemble autant à une alternative politique crédible que les camps de réfugiés du Darfour à des colonies de vacances. Il n'empêche que tôt ou tard se dessinera de façon explicite un projet social-démocrate décomplexé - et, souhaitons-le, cohérent et attractif - qui à ce jour n'apparaît qu'en filigrane.
Alors qu'on nous lâche un peu la grappe avec cette "vague" dont la couleur serait inoffensive, parlons plutôt d'un bruyant défilé de godillots qui s'apprête à voter, au garde-à-vous et en quelques semaines, une rafale de lois qui sont tout sauf consensuelles, on ne devrait pas tarder à s'en apercevoir.
Il paraît qu'il y a un deuxième tour dimanche prochain, vous êtes au courant? Je vous dis çà parce qu'apparemment 39,5% des électeurs ont oublié qu'il y en avait un premier prévu pour hier. Parmi eux, selon toute vraisemblance, un bon paquet d'électeurs de Gauche, qui, du coup, auront bien vite le sentiment de s'être fait avoir en silence. Comme des bleus.
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La France-Sarko s'embrume, la France-Sarko s'embrume
La France-Sarko
Ou étiez vous?
A jouer du luth?
Cécilia
N'attendait qu'cà
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A bientôt!

8 commentaires:

Anonyme a dit…

J'ai des bleus à l'âme quand je vois David Pujadas apparaître en costume et cravate bleus pour la messe du 20 H00. Jusqu'où ira-t-il dans la servilité et la dévotion au nouveau dieu ?

Anonyme a dit…

Très bon article as usual ... juste un truc qui me chiffonne l'encéphale ... personnellement j'ai aussi rayé "décomplexé" de mon vocabulaire.
Je tiens à mes complexes...sinon on entre dans "les cons ça ose tout ..."

Sinon j'espère que l'on aura une sociale démocratie bien rouge verte orange rose & plus si affinités

Anonyme a dit…

Très bon article as usual ... juste un truc qui me chiffonne l'encéphale ... personnellement j'ai aussi rayé "décomplexé" de mon vocabulaire.
Je tiens à mes complexes...sinon on entre dans "les cons ça ose tout ..."

Sinon j'espère que l'on aura une sociale démocratie bien rouge verte orange rose & plus si affinités

Anonyme a dit…

Très bon article as usual ... juste un truc qui me chiffonne l'encéphale ... personnellement j'ai aussi rayé "décomplexé" de mon vocabulaire.
Je tiens à mes complexes...sinon on entre dans "les cons ça ose tout ..."

Sinon j'espère que l'on aura une sociale démocratie bien rouge verte orange rose & plus si affinités

Anonyme a dit…

Moi j'ai carrément le blues.

Riwal a dit…

Cher Erasme,

Par "décomplexée", j'entends vis-à-vis des Mélenchon et autres Emmanuelli et, surtout, vis-à-vis des agités du bocal de la LCR et autres.
Le PS doit clamer haut et fort qu'il estime que l'économie de marché/le capitalisme est "le pire des systèmes à l'exclusion de tous les autres", ce qui n'empêche pas qu'on souhaitât:
. en réguler le fonctionnement
. en limiter le champ de pertinence(p. ex. Santé, Culture, Education, Transports Publics...)
. en contenir les prétentions hégémoniques sur le plan des idées
Tout celà transparaît de facon implicite dans les actes et les positions du PS depuis 25 ans, il serait temps d'assumer. Et tant pis, ou tant mieux, si ca froisse les gugusses qui, au nom de leurs fantasmes, se condamnent à l'aigreur et à la frustration. Qu'ils traitent les Socialistes de "socio-libéraux" si ca leur chante, moi je m'en fous et j'en ai marre que le PS ait à permanence à s'excuser de ne pas être bolchévique.

Sur ce, merci encore pour ton assiduité.
Au plaisir de te lire

Riwal a dit…

Cher Jean-Yves,

Boah, ca va passer...

Out of the Blue
And into the Black
They give you this but you pay for that
And once you're gone
You can't come back
When you're out of the Blue
And into the Black

Riwal a dit…

Chère Anne-Marie,

Pujadas n'est qu'un ténia surmonté d'un brushing... D'ailleurs j'ai cru comprendre qu'il s'est fait prendre la main dans la manip par Ségo hier soir, bien fait pour sa gueule.

A bientôt