vendredi 2 novembre 2007

Ils s'appelaient "Faits Divers"

Il y a des faits d'actualité qui, brusquement, sautent au visage des quidams que nous sommes et nous laissent perplexes. Des trucs inclassables qui, par défaut, se situeraient dans la rubrique "faits divers" et qui, pour une raison ou pour une autre, débordent du cadre. Par exemple: la mort du type qui a largué la bombe sur Hiroshima, les soupçons qui pèsent sur Bernard Laporte, la dérobade de Cécilia et, plus singulièrement, l'affaire de l'"Arche de Zoé". Impossible d'échapper à cette dernière, elle occupe chaque jour les médias de toute sorte depuis près d'une semaine.
De quoi s'agit-il? Dix-sept Européens et deux Tchadiens ont été arrêtés par les autorités de N'Djamena, au motif qu'ils s'apprêtaient à faire sortir du Tchad 103 enfants. Point de départ de l'affaire, une ONG Française répondant au doux nom d'"Arche de Zoé" qui souhaitait "sauver", en les exfiltrant vers la France, des orphelins Soudanais du Darfour. Et les avait déjà "proposés" à des familles d'accueil, moyennant quelques milliers d'Euros de "soutien à l'association". Manque de bol, les 103 enfants en question ne sont ni orphelins (d'après l'UNICEF, qui en est sûre au moins pour 91 d'entre eux), ni Soudanais. Par-dessus le marché, ladite ONG a agi au Tchad sous un faux nom ("Children Rescue") et, c'est un détail, sans informer les autorités locales de ses intentions réelles. Colère du président Tchadien Idriss Déby (un fieffé salopard par ailleurs, mais là n'est pas la question) qui parle de "pédophilie", de "trafic d'organes" et de "traite négrière", histoire de détendre l'ambiance. Là où çà se corse, c'est qu'on apprend au passage:
  • Que le Quai d'Orsay était au courant et qu'il a cherché à dissuader les responsables de l'ONG de se lancer dans l'opération (avec succès, visiblement)
  • Que l'Armée Française a apporté, à un moment donné, un soutien logistique à ladite ONG (où quand le dispositif "Epervier" vient en aide aux étourneaux)

Enfin, parmi les dix-sept - désormais inculpés au Tchad de chefs d'accusation qui peuvent leur valoir les travaux forcés - ô rage, ô désespoir, trois journalistes. S'il y avait eu parmi les inculpés trois charcutiers, trois employés de La Poste ou trois funambules du cirque Bouglione, il y a fort à parier que le tapage médiatique eût été un peu moins sonore... Mais un journaliste, c'est sacré, "çà ne fait que son métier". Çà peut bien aller s'acoquiner avec la pire bande de branquignols pour décrocher le scoop garanti 100% émotion à la une de "Match", dès que çà chie un peu, hop, pouce, c'est pas moi, m'sieur, je leur avais dit, pourtant, que c'était pas bien... Décidément, n'est pas Florence Aubenas qui veut. Mais rassurons-nous: aux dernières nouvelles ("Libération", ce jour), le Président Déby est "prêt à faire un geste" pour les journalistes, bonne volonté à laquelle un certain nombre de coups de fils de notre Président à nous (enfin, façon de parler, appelons-le plutôt le Président Crédy, hyper-méga-solvable depuis qu'il s'est fait voter une augmentation de 140%) ne sont sans doute pas étrangers. Il est comme çà, Nicolas, c'est tout lui, çà. Un truc bien couvert médiatiquement? Hop, il met son grain de sel. Son gouvernement a visiblement merdé sur ce coup-là: comment se fait-il que les Affaires Etrangères "dissuadent" tandis que la Défense "apporte un soutien logistique?" Plutôt que de décentraliser les Conseils des Ministres en Corse ou sur la Lune, il conviendrait d'inciter ces derniers à vaguement échanger de l'info, de temps à autre. Mais peu importe, les médias s'excitent sur le sort injuste fait aux journalistes, alors Sarko prend son téléphone et s'efforce de les tirer d'affaire. Pour les autres "innocents" (l'équipage Espagnol de l'avion "sauveteur") on verra plus tard. Pour sûr, ç'aurait été un job en or pour Cécilia, çà, les Espagnols... Oui mais voilà, a p'us, Cécilia, c'est con, la vie. Quant aux accusés "légitimes" - les membres de l'ONG - après que Sarko ait vertement "condamné" leur initiative, il demande au Président Tchadien que soit respectée "la présomption d'innocence". Allez comprendre. Quoiqu'il en soit, plusieurs choses me paraissent dignes d'être relevées dans cette histoire:

  • La première, c'est que tout le monde (à part l'UNICEF) se contrefout des 103 gamins. Qui sont-ils, d'où viennent-ils, va-t'on les ramener à leurs proches, quels intermédiaires locaux foireux les ont mis dans cette galère? On sait désormais qu'ils sont tous Tchadiens, mais le seul commentaire qu'on peut glaner çà et là c'est un truc sarcastique du genre "oui, mais bon, l'état-civil, dans ces pays-là..." Comme si, après tout, l'important c'était qu'ils soient noirs d'Afrique, donc malheureux, donc dignes d'intérêt pour les bonnes âmes de nos contrées. Ils n'ont pas vraiment de nom, dans quelques années on dira qu'ils s'appelaient "Faits Divers", comme dans la chanson du groupe "Téléphone"
  • La deuxième, liée à la précédente, c'est que pour un certain nombre de nos contemporains - encouragés entre autres par un certain Bernard Kouchner, Ministre des Affaires Etrangères dont le silence est assourdissant, ces jours-ci - l'Afrique constitue une espèce d'immense terrain libre pour satisfaire des pulsions de générosité. L'Afrique souffre, c'est indéniable, de multiples maux, et ce qu'on appelle "le drame du Darfour" en est un exemple probant. Alors oui, il y a plein de gens sincères qui veulent "faire quelque chose", et toutes les ONG Françaises d'aide à l'Afrique ne sont pas des "Arches de Zoé", loin s'en faut. Mais nous vivons des temps où la compassion des uns (des citoyens de base) vient opportunément masquer le cynisme des autres (les dirigeants d'ici et de là-bas) dans le tourbillon du "spectacle du monde". Nous vivons des temps où le sentiment d'urgence dans cette compassion balaie toute réflexion. C'est comme çà qu'on se retrouve à gérer une bande d'imbéciles au grand coeur (dans le meilleur des cas) qui estiment légitime, envers et contre tout, d'aller "sauver" l'Afrique sans lui demander son avis.
  • La troisième, un poil plus anecdotique, mais tout de même, c'est qu'alors qu'on expulse des petits et des grands Africains à tour de bras, jour après jour, au nom d'une impossibilité à "accueillir toute la misère du monde" comme disait Rocard, on sent entre les lignes des commentaires des médias et des dirigeants comme un regret que le fameux avion ait été intercepté avant son décollage: "merde, un peu plus, c'était bon, quel salaud cet Idriss Déby". Dites-nous donc, cher Brice Hortefeux, les 103 gamins, ils auraient automatiquement eu le statut de réfugié? Aurait-il fallu leur faire passer je ne sais quel test ADN? Le simple fait de venir du Darfour (ou presque) présente-t'il un caractère dérogatoire aux lois qu'impose à vos yeux la vigoureuse défense de notre "Identité Nationale"? Mais vous n'étiez certainement pas au courant de cette histoire, personne ne se parle, dans ce gouvernement... Y en a un qui doit bien rigoler, c'est Charles Pasqua: en 1986, tout le monde lui était tombé dessus parce qu'il avait fait expluser par charter 101 vrais Maliens. Aujourd'hui, le Président en personne, son ancien poulain, fait des pieds et des mains pour qu'on ne maltraite pas trop des gens qui s'apprêtaient à faire entrer par charter 103 faux Soudanais. Autre époque...

Cette affaire, il est encore difficile d'en imaginer le dénouement. Ce qu'on peut en tout cas remarquer, aujourd'hui, c'est qu'elle constitue une belle métaphore des quarante années et plus de "politique Africaine" de la France et, au delà, du regard de beaucoup de Français sur l'Afrique: un subtil mélange d'ignorance, de sordide et de pathétique.

Ciao, belli.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

quand on pense qu'on a faillit avoir 103 immigrés de plus !

Riwal a dit…

J'ose croire qu'il s'agit d'une remarque au second degré!!!!

Catherine a dit…

Pendant ce temps, notre pays continue de protéger certains commanditaires et auteurs identifiés du génocide Rwandais... Je n'entends pas BK sur le sujet non plus, mais je deviens peut-être sourde.