mardi 23 décembre 2008

En piste, les clowns!

Je vous parle d'un temps que les moins d'quarante ans ne peuvent pas connaître: quand j'étais gosse, l'ORTF diffusait régulièrement une émission qui faisait mon bonheur: "La piste aux étoiles", spectacle de cirque présenté par une espèce de vieux beau déguisé en majordome de l'hôtel Crillon, Roger Lanzac. Par cette diffusion régulière des exploits des enfants de la balle, la télévision se faisait pardonner d'assassiner de facto le spectacle vivant. Soit dit en passant, de nos jours, le spectacle vivant se porte plutôt bien tandis que la télé publique, passée au Kärcher par le Silvio hexagonal, tousse comme une Marguerite Gautier.
Pourquoi donc me revient en mémoire cette "piste aux étoiles" en cette fin d'année? C'est que, entre deux annonces de plans sociaux, entre deux déclarations-coup-de-menton du nouvellement nommé Ministre Délégué à la Relance (Devedjian), le spectacle politico-médiatique des six prochains mois tournera inéluctablement autour d'un rendez-vous quinquennal: les élections européennes. Moi, dans l'état actuel des choses, cette échéance électorale me fait inévitablement penser à un cirque, une piste de sciure qu'on décore des étoiles d'or du drapeau européen, sur laquelle viennent s'agiter des amuseurs, sans même un Roger Lanzac pour donner un sens à cette agitation.
Bien sûr, sur le papier, c'est une belle idée: 785 députés élus par 492 millions de citoyens, la première et la seule institution démocratique à l'échelle du continent. Des hommes et des femmes issus de 27 nations qui, il y a peu au regard de l'Histoire, se massacraient allègrement les unes les autres siègent ensemble, débattent, font des propositions. Et qui, de temps en temps, au grand dam des chefs d'état "responsables", prennent une initiative façon bras d'honneur. Dernière en date: le prix "Sakharov" décerné à Hu Jia, dissident chinois emprisonné, ce qui a fait s'étrangler de rage la junte plouto-communiste de Pékin.
Oui mais bon, comment sont-ils élus, ces députés? C'est là que le bât blesse: ces élections, dans leur mise en oeuvre, sont tout sauf européennes. Si on s'arrête à l'exemple de la France, quels sont les "enjeux"du scrutin, tels qu'on ne cessera de nous en rebattre les oreilles d'ici à juin prochain? Pas besoin d'un doctorat en Sciences Politiques ni d'une boule de cristal: les uns et les autres commentateurs gloseront sur les scores, la performance de tout ce que la classe politique française compte de leaders, de partis, de groupuscules. Par exemple, on s'interrogera sur ce qui pourra bien émerger à la gauche du PS , on spéculera sur les résultats des centristes de tout poil, on surveillera de près le Front National. Si d'aventure se présentait un parti des coureurs cyclistes en cure de désintoxication, nul doute que la question de son leadership occuperait largement les commentateurs. Car de quoi s'agit-il en France, en définitive, lorsqu'on parle d'"élections européennes"? D'un sondage, mais grandeur nature, un census comme on dit dans le jargon des études de marché. Une élection, pour laquelle les gens se déplacent, à laquelle se présentent tous les ténors en vue, à droite comme à gauche, mais dont tout le monde sent bien que les candidats se tamponnent comme de leur premier tract. Un seul exemple: Bayrou, l'"Européen" auto-proclamé, a bien vite abandonné son siège à Strasbourg une fois élu en 2005. Ce qui comptait, pour lui, c'était d'aller se faire élire dans ses terres béarnaises... Eh oh, soyons sérieux: l'Europe c'est bien beau, mais ça ne vaut pas une bonne garbure partagée avec des chasseurs de palombes. Sondage "en vrai": c'est à se demander si la régionalisation du scrutin n'a pas été décrétée en France pour pouvoir jauger le poids des uns et des autres en vue de scrutins "qui comptent": municipales, cantonales, législatives, régionales. Se faire élire au Parlement Européen, c'est affirmer son existence sur la scène politique française sans le désagrément d'avoir à rendre des comptes, bref c'est une chance quand on fait ce métier. C'est pour ne pas l'avoir compris - ou plutôt admis - qu'une Rama Yade se trouve aujourd'hui en disgrâce.
Ma connaissance de la vie politique slovène, roumaine, lettone ou même allemande, italienne, britannique est très limitée, mais j'ai le sentiment qu'à travers notre continent, quel que soit le pays, la situation est la même: les "élections européennes" sont à un exercice démocratique de conquête du pouvoir ce que la piste de ski artificielle de Dubai est aux sports d'hiver dans les Alpes- une illusion.
Moi, ça me désole. Alors je rêve un peu. Je rêve de vraies élections européennes, organisées autour de cinq règles simples:
  1. Scrutin proportionnel organisé le même jour dans les 27 pays membres
  2. Circonscriptions = les 27 nations
  3. Les citoyens européens votent de leur lieu de résidence, quel qu'il soit
  4. Ne peuvent se présenter que des formations politiques proposant un programme à vocation continentale, composées de partis présents dans des pays représentant au moins 55% du corps électoral (ou 50, ou 60, si vous voulez, je m'en fous)
  5. Chaque formation propose sur sa liste des candidats issus de tous les pays européens - un candidat d'une même nation toutes les 27 places. Ne sont représentées au Parlement que les formations ayant recueilli au moins 3% des voix (27/785).

Il y a sûrement des tonnes d'objections techniques à ce schéma, qui semblera simpliste à des professionnels de la politique européenne si d'aventure ils parcourent ces lignes. Mais sachant que les mêmes professionnels nous ont concocté la bruyante et inutile usine à gaz actuelle, j'estime que ces cinq principes mériteraient d'être envisagés. Ne serait-ce qu'en rêve.

D'ici là, que les réalistes se rassurent: en France et sans doute ailleurs, l'exercice de juin 2009 permettra à de talentueux clowns de se lancer sur la "piste aux étoiles". On frissonne à l'idée du formidable spectacle qui nous attend, on se réjouit d'avance d'avoir réponse à un tas de questions cruciales: le NPA du postier dépassera-t'il encore les timbrés de Lutte Ouvrière? Robert Hue, tel Lénine, lancera-t'il sa NEP? Bayrou branchera-t'il son MoDem? Quel sera le poids des Ségolénistes au sein des positions éligibles du PS? Qui pour diriger la liste UMP d'Ile-de-France? Le gouvernement sera-t'il sanctionné? Quel sera le score de la Fédération Buffeto-Mélenchoniste? Les Verts vont-ils enfin sortir du trou? Que va devenir le Front National, avec sa Marine sans paquebot? Et les chasseurs, hein, les chasseurs?

Les élections européennes, telles l'ORTF d'antan, serviront au moins à ça: tant qu'il regarde Roger Lanzac, le bon peuple ne pense pas à faire sérieusement de la politique.

Joyeux Noël à tous

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Je te propose quelques instants de détente inutile:
http://metz-utopie.over-blog.net/article-26095191.html
Joyeux Noël et bonne Année

Anonyme a dit…

Ou, la j'ai cafouillé mon commentaire, donc je t'envoie un petit jeu:
http://metz-utopie.over-blog.net/article-26095191.html
Joyeux Noël et Bonne Année

Nathalie a dit…

J'aime beaucoup cette notion d'élections pan-européennes, réalisées le même jour sur l'ensemble du continent, les partis en présence présentant des programmes à vocation européenne. C'est même une super idée, qui tient d'une vraie conception des Etats-Unis d'Europe, ainsi que les « pères » de l'Europe, Schuman, Monnet & consorts l'avaient imaginé. Clairement, c'est encore trop avant-gardiste aujourd'hui où l'Europe est surtout un vaste marché dédié au libre-échange et à la libre circulation des personnes. Mais, si demain une Europe politique se met en place, avec une Défense commune, alors là cela ferait sens. Mais d'ici là, combien de 'Non' au(x) traité(s) Européen(s)?

Riwal a dit…

Pour ma part j'ai tendance à croire que si on réformait les élections européennes dans le sens que j'ai décrit dans le "papier", le reste suivrait: c'est ce Parlement véritablement Européen qui créérait l'Europe politique, et non l'inverse.

Anonyme a dit…

Salut Riwal,
Je suis d'accord avec toi sur le principe mais le véritable enjeux au-delà du mode de scrutin est: "Quel pouvoir national souhaite-t-on transférer au niveau européen ?
Personnellement, je pense que vouloir avancer à 27 en même temps est infaisable. As-tu déjà essayé de faire prendre une décision unanime dans une réunion avec 27 personnes?
A+

Riwal a dit…

C'est justement parce que rien ne peut veritablement se passer au niveau des 27 chefs d'etat et de gouvernement qu'il faut faire du Parlement Europeen une "vitrine" de l'Europe politique, meme a perimetre de competences constant, pour commencer. D'ou l'idee d'un scrutin europeen, autour de partis et d'enjeux europeens (les uns et les autres existent deja, ne serait-ce que virtuellement, il suffit de les nommer, et fort, pour qu'ils prennent corps). Meme si la participation ici et la s'en ressent (mais peut elle etre plus faible qu'aujourd'hui?), sur le plan pratique et donc symbolique, ce serait un premier pas vers le depassement POLITIQUE des enjeux nationaux etriques.
En plus, ca ferait chier De Villiers et Le Pen, rien que pour ca, ca vaut le coup!