dimanche 25 juillet 2010

Crépuscule du droit à l'irrévérence?

L'article 433-5-1 du code pénal, créant un délit d'outrage au drapeau ou à l'hymne national lors d'une manifestation organisée ou réglementée par les autorités publiques, voté lors de l'adoption de la loi du 18 Mars 2003 portant sur la "sécurité intérieure", n'était pas suffisant. C'est ça, le problème, avec les lois de circonstance (en l'occurrence des supporters sifflant la "Marseillaise"): elles cherchent à préserver l'avenir en regardant le passé immédiat, fût-il anecdotique. Leurs initiateurs regrettent bien sûr, in petto, que la rétro-activité des lois soit inconstitutionnelle mais ils se disent "plus jamais ça, on va voir ce qu'on va voir". C'est tout vu, pour ce qui concerne la "Marseillaise" sifflée dans les stades (effet dissuasif nul) et par-dessus le marché, on n'avait pas prévu que ce type d'"outrage" puisse être perpétré lors de manifestations à caractère privé. Par exemple, lorsque la photo d'un type se torchant le derrière avec le bleu-blanc-rouge se trouve primée lors d'un concours organisé par la FNAC de Nice. Grave oubli réparé vendredi dernier, par la publication d'un décret du gouvernement, étendant l'"outrage" aux manifestations organisées par des acteurs privés. Ouf.
On peut bien légitimement disserter sur le caractère liberticide de telles initiatives. D'ailleurs aux États-Unis, que plus chatouilleux sur les questions patriotiques tu cherches longtemps, il existe bien un Flag Protection Act fédéral, renforcé au niveau des états par de multiples législations locales. Cependant les uns et les autres sont inapplicables, la Cour Suprême (United States Vs Eichman, 11 Juin 1990) ayant jugé que de telles dispositions étaient contraires au Premier Amendement de la Constitution, garantissant la liberté d'expression.
Mais la question de la liberté d'expression, que d'aucuns balaieraient d'un revers de manche à la Saint-Just - "ce n'est pas une liberté que d'insulter un symbole de la liberté" - a beau être importante, elle ne me semble pas, sur cette affaire, constituer le seul enjeu. Se pose également la question du contexte dans lequel s'inscrit cette initiative.
Ce n'est peut-être qu'une coïncidence, mais la publication de ce décret fait suite à l'éviction de France Inter de deux humoristes particulièrement irrévérencieux, Stéphane Guillon et Didier Porte. Et, plus récemment, à la réaction outrée d'un syndicat de gardiens de la paix (SGP FO) à la diffusion d'une campagne publicitaire pour une célèbre marque de volailles mettant en scène des policiers et affirmant qu' "un bon poulet, c'est un poulet en liberté". Inacceptable de dénigrer ainsi de façon "vulgaire", pour le syndicat en question, le noble et dangereux métier de flic en uniforme. Autant dire poulet-tiquement incorrect. On pourrait ainsi multiplier les exemples où des images, des films, des textes s'inscrivant dans une tradition multi-séculaire d'irrespect rigolard face aux symboles du pouvoir ou des institutions se voient publiquement violemment critiqués, voire éventuellement interdits, au nom d'une notion de "respect" de plus en plus élastique. Un point commun à cette vague qu'on pourrait, somme toute, qualifier de réactionnaire: le côté revanchard.
On sait que le tsunami culturel de 1968 n'a pas été digéré par tous. Nicolas Sarkozy, lors de sa campagne de 2007, se faisait fort de "liquider l'héritage de Mai", c'est bien à une "révolution culturelle à l'envers" façon Reagan qu'invitait le candidat de la droite, il s'agissait de réhabiliter bruyamment le "sentiment national" qu'une gauche irresponsable laissait à vau-l'eau. Mais même si on ne prête qu'aux riches, on ne saurait surestimer l'impact de l'élection de Nicolas Sarkozy, qui en l'occurrence est davantage un effet qu'une cause. Plus profondément, cet obsession sur les valeurs de Mai 68 qu'il conviendrait de liquider faisait écho à l'exaspération d'une fraction agissante de l'électorat de droite et d'extrême-droite, s'inscrivant  dans un phénomène plus large de "concurrence mémorielle". On vit ainsi des députés, dès 2005, tenter d'imposer aux enseignants en Histoire de "souligner les aspect positifs de la colonisation française". On sait ce qu'il advint de cette initiative, mais elle était symptomatique d'une volonté de prendre à rebours l'évolution du discours de la "nation" sur elle-même depuis quatre décennies. Cette volonté de revanche a pu s'accompagner d'une remise en cause du "politiquement correct" - désignant un souci d'antiracisme et de tolérance largement partagé dans les médias et au delà. Cette posture se voulant libertaire inverse les rôles: ce sont les "Français" et leurs symboles, leurs "valeurs traditionnelles", leur Histoire qui seraient aujourd'hui menacés, dénigrés. A ce titre on notera la récurrence, dans le discours du Front National, de l'expression "racisme anti-Français".
Dès lors il conviendrait de "rétablir un équilibre": pas touche à mon drapeau, à mon hymne national. Michel Droit avait commis dans le "Figaro Magazine", en juin 1979, un article vilipendant Serge Gainsbourg et sa "Marseillaise" reggae. Ne traitez pas l'hymne national à la légère, bas les pattes, disait-il en substance à l'artiste. Comme vous êtes Juif ça pourrait stimuler l'antisémitisme, s'inquiétait cette belle âme d'académicien. A l'époque, ce "papier" lui avait valu, pour longtemps, le surnom de "Michel Tordu". Aujourd'hui, on ne mobilise pas des polémistes réactionnaires, on pond des décrets, ça va plus vite.


Les obsédés du respect des symboles nationaux peuvent croire aujourd'hui qu'ils ont remporté une victoire. Parmi eux cependant, et singulièrement au Front National, se trouvent, à n'en pas douter, des gens qui fustigent le caractère "liberticide" de la loi Gayssot, qui interdit les publications ou les propos publics négationnistes. Mais le problème de la loi Gayssot, ce n'est pas qu'elle limite la liberté d'expression de quelques conspirationnistes antisémites, c'est qu'elle induit la notion de "vérité officielle", propre à stimuler des réflexes "libertaires" d'un genre un peu spécial.
De la même façon, et toutes proportions gardées, les lois sanctuarisant le bleu-blanc-rouge et la "Marseillaise" ne devraient pas manquer d'encourager l'imagination d'artistes en tout genre pour en tester les limites... Par ailleurs, in fine,  la réaction (c'est le cas de le dire) du syndicat des gardiens de la paix n'aura eu pour effet que d'amplifier par un "buzz" une campagne de pub au demeurant assez minable.

Le droit à l'irrévérence, déjà malmené par les islamistes radicaux barbus et les cathos "tradi" à poil ras, en a encore théoriquement pris un sacré coup. Pas sûr cependant que, dans les faits, ces offensives législatives atteignent leur but, à savoir la dissuasion. Coluche ne peut pas mourir deux fois.

Ciao, belli.

4 commentaires:

Nikita a dit…

Le droit à l'irrévérence devrait être inclus dans la constitution, c'est un droit élémentaire de tout pays dit 'démocratique'.
Donc, peut-on encore considérer le France comme un pays 'démocratique' si ce droit est bafoué par une loi? je m'interroge...
Le rapport sur la liberté de la presse par pays de FreedomHouse est intéressant, en voici quelques extraits, pour la France 2008 - on attend l'update...
http://www.freedomhouse.org/
'The constitution and governing institutions support an open press environment, although certain laws limit aspects of press freedom in practice.'
'Protection of journalists’ sources remained the top press freedom issue in France in 2008.'
'The government controls many of the firms that supply advertising revenue to media groups.'
Total 'non freedom' rating: 22 (UK 19, Norway 10, Germany 16, Italie 32, par exemple).

vuparmwa a dit…

je découvre ce blog pour la première fois un peu au hasard mais je ne le regrette pas...

l'analyse est intéressante et parfois même pertinente mais je ne sais pas si tout ce qui est abordé doit être mis sur le même plan...

en l'occurrence, il s'agit plus de l'histoire d'une mauvaise photo primée... le cliché n'a pas plus à tout le monde ; certains l'ont vite fait savoir et on demandait une réaction... sauf que la réaction pénale n'était pas possible... et comme, c'est devenu l'habitude dans ce cas, on sort les gros bras et on cherche un texte permettant de réprimer pour au moins dissuader ceux qui voudraient agir...

Quant à la loi gayssot, juste un mot dessus et après promis, je m'en vais :

je suis plutôt favorable à une très grande liberté d'expression et j'ai beaucoup de mal avec toutes ces lois qui viennent restreindre la liberté d'expression, la liberté d'opinion...

Je pense également qu'il est préférable de laisser chacun exprimer ses opinions, dire ce qu'il a à dire...
Il faut alors combattre ses propos par un débat d'idées, opposer des arguments plutôt que de se voiler la face en décidant dès le départ de ce qui peut être exprimé et de ce qui ne peut pas l'être...

Mais juste histoire de jeter un tout petit pavé dans une immense marre :

la liberté d'expression trouve ses limites dans les lois ; nous sommes d'accord...
mais la loi, elle est faite par quelques personnes (nos gentils représentants) qui décident, selon des critères bien subjectifs, ce qui est bon ou mauvais pour notre société, pour l'intérêt général...

mais est ce pour autant qu'ils ont forcément raison ?

En limitant toujours et encore la liberté d'expression, on fini par interdire certaines pensées, certaines opinions parce que quelques uns l'ont décidé..., parce que quelques uns tracent petit à petit un espace de liberté...

Mais parfois, il arrive que la loi soit contestée (pas seulement par d'affreux personnages comme moi) mais par des juges et notamment les juges de la cour européenne des droits de l'homme qui sont très attentifs à toute atteinte à la liberté d'expression...


Bon, j'ai dit assez de conneries pour l'instant ; je m'en vais

vuparmwa a dit…

je découvre ce blog pour la première fois un peu au hasard mais je ne le regrette pas...

l'analyse est intéressante et parfois même pertinente mais je ne sais pas si tout ce qui est abordé doit être mis sur le même plan...

en l'occurrence, il s'agit plus de l'histoire d'une mauvaise photo primée... le cliché n'a pas plus à tout le monde ; certains l'ont vite fait savoir et on demandait une réaction... sauf que la réaction pénale n'était pas possible... et comme, c'est devenu l'habitude dans ce cas, on sort les gros bras et on cherche un texte permettant de réprimer pour au moins dissuader ceux qui voudraient agir...

Quant à la loi gayssot, juste un mot dessus et après promis, je m'en vais :

je suis plutôt favorable à une très grande liberté d'expression et j'ai beaucoup de mal avec toutes ces lois qui viennent restreindre la liberté d'expression, la liberté d'opinion...

Je pense également qu'il est préférable de laisser chacun exprimer ses opinions, dire ce qu'il a à dire...
Il faut alors combattre ses propos par un débat d'idées, opposer des arguments plutôt que de se voiler la face en décidant dès le départ de ce qui peut être exprimé et de ce qui ne peut pas l'être...

Mais juste histoire de jeter un tout petit pavé dans une immense marre :

la liberté d'expression trouve ses limites dans les lois ; nous sommes d'accord...
mais la loi, elle est faite par quelques personnes (nos gentils représentants) qui décident, selon des critères bien subjectifs, ce qui est bon ou mauvais pour notre société, pour l'intérêt général...

mais est ce pour autant qu'ils ont forcément raison ?

En limitant toujours et encore la liberté d'expression, on fini par interdire certaines pensées, certaines opinions parce que quelques uns l'ont décidé..., parce que quelques uns tracent petit à petit un espace de liberté...

Mais parfois, il arrive que la loi soit contestée (pas seulement par d'affreux personnages comme moi) mais par des juges et notamment les juges de la cour européenne des droits de l'homme qui sont très attentifs à toute atteinte à la liberté d'expression...


Bon, j'ai dit assez de conneries pour l'instant ; je m'en vais

Riwal a dit…

Bienvenue à bord... Non non, je ne vois pas de connerie dans ce qui précède. D'accord avec toi: j'aborde ici des chose qui, dans l'absolu, ne doivent pas être mises sur le même plan... Peut-être n'ai-je pas assez marqué de "limites" entre les sujets. Je voulais juste faire remarquer que les gens du FN peuvent avoirune conception élastique de la liberté d'expression: dès qu'il s'agit de contester l'existence des chambres à gaz tout devrait être permis. En revanche, pas touche au drapeau et à la "Marseillaise".

Merci de ta contribution