mercredi 23 mai 2007

Bernard, l'ermite

A défaut de démontrer pour l'instant un quelconque savoir-faire, Sarkozy fait preuve d'une énergie incroyable dans le faire-savoir.
Vous me direz: rien de nouveau sous le soleil, à ceci près que ce qui pouvait relever de l'habileté politique au cours des cinq années qui viennent de s'écouler (durée effective de la campagne présidentielle de Nicolas) - nonobstant le côté agacant d'un ministre qui passe l'essentiel de son temps à se mettre en valeur - revêt, une fois le bonhomme oint du suffrage universel et mis à la tête d'un pays comme la France, un caractère plutôt inédit. On ne va pas détailler le tombereau d'"événements" post-6 Mai 2007 qui viennent de déferler dans les médias, du "doublement du budget des soins palliatifs" au "Grenelle de l'environnement", en passant par les joggings en-veux-tu-en-voilà. Arrêtons-nous sur l'annonce à ce jour la plus concrète et la plus "structurante" pour l'avenir du pays (enfin: son avenir jusqu'au deuxième tour des législatives, après on verra): la composition du gouvernement.
"Sarkozy choisit l'ouverture et la parité", titrait "Le Monde" daté de samedi dernier. La parité: on ne m'ôtera pas de l'idée que si Michèle Alliot-Marie avait été un homme, son destin eût été celui des chiraquiens pur sucre - les oubliettes - tant son zèle Sarkozyste a mis du temps à s'affirmer. Mais bon, c'est une femme, vlan que je te bombarde Ministre de l'Intérieur, l'ancien "camp de base" du patron, du coup elle sera sous contrôle. Dans la série "je remplis mon quota", on note également la présence de Christine Boutin, représentante du courant "Droite-compatissante-mais-on-déconne-pas-avec-les-valeurs-chrétiennes" au sein de l'UMP, au Ministère du Logement et de la Ville. En toute logique elle devrait être en charge de nous concocter la "France de propriétaires" chère au nouveau Président: les locataires n'ont qu'à bien se tenir. La bruyante Roselyne Bachelot inaugure quant à elle un tout nouveau ministère hybride: la Santé, la Jeunesse et les Sports. Tant qu'on y était, on aurait pu ajouter l'Education Nationale ou l'Agriculture, hein, pourquoi mégoter? Pour le reste, notons que ce nouvel équilibre permet la mise en avant de personnalités comme Rachida Dati ou Valérie Pecresse (ca nous change) et surtout, oui surtout, nous a sans doute évité la nomination des pathétiques Devedjian et Douste-Blazy. Rien que pour ca, ca valait la peine.
Attardons-nous plus longuement sur l'"ouverture", car là réside la véritable nouveauté dans la composition du gouvernement. Pensez-donc: le "retournement" d'un membre éminent du PS, Bernard Kouchner, dit "Koukouche", dit "Un Tiers-mondiste, deux-tiers mondain". Et pour le Quai d'Orsay, rien que ca!
Là, il faut le reconnaître, c'est bien joué. Car Kouchner, contrairement à Eric Besson (on s'occupera peut-être de son cas un autre jour, à celui-là), n'avait pas véritablement fait acte de trahison durant la campagne. Or la perfidie, bien géré, ca peut jouer, pour faire carrière avec Sarkozy (voyez Hervé Morin, ex-Bayrouiste fervent). Oh, bien sûr, Bernard avait approuvé publiquement la proposition de Michel Rocard, à dix jours du premier tour, selon laquelle Ségolène Royal devait "s'allier" à Bayrou (voir ici même http://helvetia-atao.blogspot.com/2007/04/michel-rocard-lchec-sinon-rien.html): le moins qu'on puisse dire est que cela n'avait pas franchement aidé la campagne de la candidate de son parti. Mais pas de quoi fouetter un chat, finalement, c'était juste un croche-pattes à la petite semaine. Notons au passage que Bernard Kouchner ne s'est jamais fait élire que sur les listes d'invités des plateaux de télévision: il ne trahit donc par ailleurs aucun suffrage. Du coup, son ralliement à Sarkozy et, parallèlement, la main que ce dernier lui tend, vous prennent des allures d'union-nationale-face-aux-périls, tout en permettant au Président de tenir une promesse de campagne (plus fastoche que "le plein-emploi dans cinq ans", au demeurant). Et au passage, de mettre un coup derrière les oreilles du Parti Socialiste. Quel talent!
Mais là n'est pas l'essentiel: lorsqu'un Kouchner rejoint Sarkozy pour s'occuper des Affaires Etrangères, qu'est-ce qui a priori vient à l'esprit du commun des mortels? Que le héraut de l'ingérence humanitaire, le tireur-de-sonnettes-d'alarme, le pourfendeur des potentats corrompus et meurtriers va prendre en main la diplomatie de la France. Comme, parallèlement, Sarkozy déclare régulièrement qu'il veut rompre avec l'amitié France-Afrique facon Chirac ou Mitterrand et qu'il est "particulièrement préoccupé" par la situation du Darfour, on laisse entendre que ce ralliement est essentiellement un accord sur l'urgence d'une nouvelle politique Nord-Sud.
Là réside l'imposture: au Darfour, par exemple, la France ne peut rien, car derrière le gouvernement Soudanais il y a la Chine, le tout sous la surveillance des Etats-Unis. Par ailleurs il ferait beau voir une quelconque remise en cause de l'"amitié" de la France envers Omar Bongo, Idriss Déby, etc.. et envers leur pétrole, leur cuivre, leur manganèse, leur uranium, leur bauxite. Alors soyons sérieux: cette humanitarian touch n'est que de la poudre-aux-yeux. La convergence la plus tangible - et la plus lourde de conséquences - entre Sarkozy et Kouchner porte un nom: l'atlantisme.
Kouchner, en 2003, a bruyamment soutenu l'invasion de l'Irak, tandis que Sarkozy ne cache pas son admiration pour l'Amérique - et certainement pas à cause de Bob Dylan ou Jack London. Alors on jugera sur pièces, mais je sens se dessiner, à terme, une vraie "rupture" en matière de politique étrangère, qui verra la diplomatie francaise, au nom du "pragmatisme", s'aligner de plus en plus souvent sur celle de Washington. Or cette dernière se caractérise, et pas seulement depuis Bush, par une inconséquence et un cynisme doublés d'un crétinisme meurtrier. Cette perspective est un poil plus préoccupante que la déstabilisation du PS à l'approche des législatives, enfin moi je trouve.
Reste, pour expliquer la décision de Bernard Kouchner, le facteur bêtement humain. Le monsieur a 67 ans, et a dû se dire que s'il voulait goûter encore un peu du pouvoir (pardon: "se rendre utile à la France"), c'était maintenant ou jamais: 2012, c'est loin, et encore faudrait-il qu'une alternance se produise, or c'est tout sauf certain.
Puisqu' "on peut toujours saluer les petits rois de pacotille/on peut toujours espérer entrer un jour dans la famille", comme le chantait Noir Désir, mettez-vous à sa place, un peu: vous croyez qu'à 72 ou 77 ans on lui proposerait de nouveau un job pareil? Alors tant pis si ca chagrine les anciens copains, tant pis si on doit sourire à Brice Hortefeux, faire la bise à Roselyne Bachelot, rire des blagues d'Alain Juppé (un sacré boute-en-train, celui-là) et obéir à Francois Fillon, hop on y va, advienne que pourra.
La strophe de Bertrand Cantat continuait ainsi: "sûr que tu peux devenir un krach boursier à toi tout seul/on pourrait même envisager que tout nous explose/à la gueule".
Mais dans ce gouvernement on doit plutôt écouter du Barbelivien, alors détends-toi, Bernard, et profite!
Salut, à la prochaine.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Maitre Riwal,

Un point de vue interessant mais qui se rapproche un peu trop de l'ambiance actuelle chez les socialistes. Bien sur que Kouchner est opportuniste, mais il est certainement le seul: Segolene, Laurent et Dominique ne brillent que par leur grande constance strategique (ou dogmatique?). Je pense qu'il serait constructif de relever que le nouveau President s'entourent de diverses competences (pour la plupart reconnues) et qu'il souhaite etre evalue sur les resultats..Alors attendons..en attendant le PS a du boulot qui va au-dela de la petite personne de Bernard.

Je souhaite toutefois partager un petit plaisir dont je suis sur tes lecteurs gouterons egalement.
Il semble que Douste-Bla-Bla se soit presente le 6 mai au Fouquet's, mais s'est fait jete...Efin une grande incompetence reconnue par notre nouveau President.
Ah Tchao
F.B

Riwal a dit…

Maitre Fred,

Merci de ton assiduite et de tes commentaires qui demontrent, a tout le moins, que ce blog sucite le debat.
Sur le fond: Sarko se contrefout des competences des uns et des autres, son objectif est d'occuper l'integralite de l'espace mediatico-politique. Pour info, il avait chercher a debaucher, pour le meme job, Hubert Vedrine, dont la vision de la politique internationale est diametralement opposee a celle de Koukouche. Vedrine a refuse, comme quoi le reniement n'est pas une fatalite en politique.
Le PS a du boulot, c'est indeniable: aujourd'hui il touche le fond, alors ca ne peut qu'aller mieux.
Si l'anecdote sur Douste Bla-bla n'est qu'une rumeur, propageons-la: pour une fois qu'un night-club pratique le delit d'absence de neurones plutot que le delit de facies, ca merite d'etre encourage!

A bientot