mercredi 24 septembre 2008

Méditer Schoendoerffer

Dans "La 317ème section" (1965), Pierre Schoendoerffer faisait dire à un de ses personnages: "Quand on fait la guerre, y a une chose dont il faut être sûr, c'est que l'objectif à atteindre justifie les pertes. Sinon, on peut plus commander".

Mille-huit-cents milliards de dollars, c'est paraît-il ce que les contribuables américains vont devoir débourser pour sauver leurs banques - et, si j'ai bien tout compris, rien moins que le système financier mondial - d'un effondrement façon dominos. C'est une somme colossale, je vous l'accorde, mais le jeu en vaut tellement la chandelle qu'on ne se pose pas la question de savoir si une telle perte pour le Trésor Américain est justifiée par l'objectif à atteindre. En gros, c'est l'histoire du pilote de 747 qui annonce à ses passagers, au dessus de l'atlantique: "Remboursez-moi le prix de mes années d'études, logement, nourriture et loisirs inclus - j'ai calculé, y en a pour trois millions de dollars, sinon je fais un vol en piqué et vous y passez tous, parce que contrairement à moi vous n'avez pas de parachute, na-na-nè-reu". Forcément, les passagers se cotisent dare-dare.

Tout de même, c'est beaucoup d'argent, se dit le citoyen-contribuable... Mais, se demande t-il aussitôt, comment en est-on arrivé là? Et puis il se rappelle: un jour, c'était dans les années 80, on lui a expliqué que le top du top, en économie, consistait à la libérer, l'économie, justement. A la débarrasser de tous ces carcans qui, notamment, empêchaient la libre circulation des capitaux et bridaient la créativité des ingénieurs en produits financiers.
Évidemment, on ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs: le fait que plusieurs milliards de dollars pourraient, en une fraction de secondes, aller de Buenos Aires à Hong Kong aurait pour corollaire la fin d'un monde où les jouets, les pulls et les chaussures de sport étaient fabriqués par des adultes payés largement plus de deux dollars par jour. On verrait également s'effondrer tout un univers, où on ne spéculait que sur ce que l'économie produisait réellement. Bref: la dérégulation et la mondialisation financières bousculeraient pas mal d'habitudes, et cette bousculade se traduirait par quelques menus désagréments: chômage et précarisation ici, exploitation et acculturation là-bas, pollution et surexploitation des ressources partout. Bref, des pertes sèches. Mais "l'objectif à atteindre" justifiait-il ces pertes? Là, le citoyen-contribuable se gratte la tête: c'était quoi, au fait, l'objectif? Ah oui: plus de richesses pour plus de monde. C'est un fait établi: il y a de plus en plus de millionnaires en dollars sur notre belle planète. La seule ville de Moscou en compterait 30 000, à ce qu'il paraît. Par ailleurs en Inde, en Chine, au Brésil et ailleurs la libre circulation des capitaux aura permis de créer des emplois salariés, donc un poil plus de richesse matérielle pour plein plein de monde, c'est mieux que rien. Objectif atteint, donc.
"Oui mais voilà, se dit le citoyen-contribuable: si j'ajoute aux mille-huit-cents milliards de dollars mon salaire bridé, mon emploi volatil et mes couvertures-santé et vieillesse en peau de chagrin, ça fait beaucoup de pertes pour ma pomme... Ca me fait une belle jambe de savoir qu'il y a beaucoup plus de millionnaires et un tout petit peu moins de miséreux."
Bref, il devient potentiellement difficile à "commander", le citoyen-contribuable... Mais pour ce qui concerne la France, pas d'inquiétude: Nicolas Sarkozy s'occupe de tout.

A l'initiative de son génial Président, la République a envoyé ce printemps 700 citoyens-contribuables supplémentaires en Afghanistan, pour combattre les Talibans. Le 18 Août, la tuile: dix d'entre eux se font occire.
Nous en avons parlé ici, l'objectif à atteindre est on ne peut plus vasouillard ("combattre le terrorisme") et mériterait d'être clarifié, par ailleurs contre toute évidence le Ministre de la Défense Hervé Morin se refuse à parler de "guerre", de même qu'autrefois ses prédécesseurs lors des "événements d'Algérie". Enfin le problème du "commandement" ne se pose pas: la majorité UMP vient de voter comme un seul homme, le petit doigt sur la couture du pantalon, le "maintien et le renforcement" de la présence française là-bas. (On note que ce vote va en théorie permettre de fournir aux 700 soldats supplémentaires les moyens d'accomplir les missions qu'on leur confie. Il était temps de s'en inquiéter, mais c'est un détail).
Pour l'instant, quoiqu'il en soit, pas de guerre, pas de problème de commandement, donc aucune raison pour Sarkozy de méditer Schoendoerffer.
Mais ce dialogue de film doit, consciemment ou non, le tarauder. A tel point que, autant sur la crise financière que sur l'engagement des troupes en Afghanistan, il développe une attitude visant à son évitement: une attitude empreinte d'émotion et de compassion.
  • La compassion: on l'a vu s'envoler pour Kaboul dès l'annonce du désastre de la vallée d'Uzbin, discuter sans protocole avec les bérets rouges là-bas, puis nous organiser une grande cérémonie sur le thème "la-France-n'est-pas-ingrate-qui honore-ses-morts". Quelques plans rapprochés sur les larmes des familles, et roule ma poule.
  • L'émotion: tout colère, il a sans ambages déclaré devant l'assemblée Générale des Nations Unies que "certains" devraient "rendre des comptes" au sujet de la crise financière. (Des noms, vite, des noms!).

Dans l'un et l'autre cas, on évite de remettre en cause les logiques inhérentes à des systèmes conduisant à des désastres: celles d'une posture guerrière qui ne s'en donne ni le nom ni les moyens, celles d'une économie virtuelle a-céphale... Systèmes qui n'ont en définitive pour objectif que leur propre perpétuation.

Dans l'un et l'autre cas, on prend le citoyen-contribuable pour un demeuré.
Le pire, c'est qu'on n'est même pas certain qu'un quelconque problème de "commandement" se pose en 2012.
Allez, tchao

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Salut Riwal,

Je suis d'accord avec toi mais il faut le dire autrement et avec d'autres moyen que sur des blogs.

Le blog est un moyen virtuel de contestation qui ne dérange personne. Plus il y a de contestations 'bloguaires' et de constatation que "oui" on se fait vraiment "enfilé" moins il se passe quelque chose.

Proposons des actions:

Grêve citoyennes tous le jours

Personne ne paie ses impôts en mai prochain

Refus des entreprises et des alariés de payer des cotisations sociales pour des services qui comme tu dis se réduisent à 'peau de chagrin"

Créer des jours sans " supermarché" afin de renverser un peu la vapeur et redonner du pouvoir au consommateur.

Riwal a dit…

J'objecterai que:
- La "greve des supermarches", meme si elle est involontaire, est deja en place, si on considere la baisse significative des depenses des menages enregistree par la grande distribution, sur peu ou prou toutes les categories alimentaires. Le consommateur l'a deja, le pouvoir: il depense moins parce qu'il a moins a depenser, on appelle ca "la baisse du pouvoir d'achat". C'est le citoyen, en lui, qui se fait "enfler" chaque jour
- On ne peut pas a la fois souhaiter davantage de regulation de l'economie (c'est ce que tu devrais logiquement penser si tu es d'accord avec moi) et la rendre impossible en affaiblissant la puissance publique - consequence d'un refus de l'impot

Catherine a dit…

M'en fous, c'est moi qui vais gagner l'euro millions ce soir : 115 patates. C'est moi que je serai la reine du monde et j'irai bouffer avec Georges Soros tous les soirs.

Riwal a dit…

Dis, tu me parleras encore quand tu seras reine du monde?
Et puis, si tu as besoin de conseils pour placer tes 115 patates, t'inquiete pas, je peux trouver des gens avisés, qui travaillent à la City ou à Wall Street... Ou chez "Challenges", le magazine des étudiants-Sup-de-Co-futurs-stagiaires-chez-LVMH... Ces gens-là ne se trompent jamais, c'est bien pour ça qu'ils nous expliquent quoi faire et penser.

Catherine a dit…

Voilà pourquoi je lis religieusement - si j'ose m'exprimer ainsi - Oncle Bernard dans Charlie Hebdo. Il pédagogise vachement bien autour de la folie financière actuelle.
Et j'ai perdu à Euromachins qui n'est qu'un attrappe-cons de plus.