Toutes les professions sont confrontées au même phénomène, somme toute bien humain dans ce qu'il signifie d'imperfection: le décalage qui existe entre le discours que ceux qui l'exercent émettent sur leur métier et la réalité de cet exercice. Ainsi, à les entendre, les médecins ne vivent que par et pour le serment d'Hippocrate, les avocats ne rêvent que de justice pour tous, les épiciers genre Carrefour ne sont là que pour démocratiser la consommation, les professionnels du marketing pour répondre aux besoins du consommateur, les fonctionnaires pour assurer la qualité du Service Public, les comédiens pour distraire les gens, Nicolas Sarkozy pour gouverner la France, etc...
La profession de journaliste politique n'échappe pas à la règle: un journaliste politique, lorsqu'il décrit son métier "à l'extérieur", affirmera volontiers qu'il consiste à éclairer, mettre en perspective les enjeux du débat afin de permettre aux citoyens d'affiner leur jugement et, ce faisant, contribuer au bon fonctionnement de la démocratie.
Cynisme, égoïsme, incompétence ou tout simplement excès d'idéalisation dans l'image que l'on veut donner de son métier, il y a parfois loin du discours à la réalité. Ainsi, il y a bien des médecins uniquement préoccupés de leurs honoraires, des avocats corrompus, des épiciers cupides, des professionnels du marketing qui se foutent ouvertement du consommateur, des fonctionnaires qui n'aiment pas servir le public, des comédiens uniquement tournés vers eux-mêmes et des Nicolas Sarkozy... euh... enfin des Nicolas Sarkozy, quoi. Quant aux journalistes politiques, il n'est pas rare que certains, loin d'éclairer les débats d'idées, se contentent, dans les faits, de commenter les querelles de personnes ici ou là. Cependant, quel que soit le métier concerné, il est une loi d'airain que peu osent transgresser: ne jamais vendre la mèche.
C'est pourquoi je ne saurais dire ma stupéfaction, ce matin, à l'écoute du "7-10" de France Inter. En ce lundi 1er septembre, "c'est-la-rentrée-sur-France-Inter" et, comme sur toutes les ondes radiophoniques à cette période de l'année, on entend signifier du changement, fut-ce à la marge. Du changement sur France Inter, donc: l'"édito politique" n'est plus assuré par Hélène Jouan (bombardée Directrice de la Rédaction) mais par un certain Thomas Legrand. Lequel nous gratifie d'un "édito" dans lequel il nous dit, en substance, à propos de l'Université d'été du PS: il est bon que s'affrontent les égos, au diable le débat d'idées, celui-ci viendra plus tard, une fois "la question du leadership" réglée.
Citons-le dans le texte: " Et si la guerre des chefs était nécessaire ? Pour qu'une vraie opposition émerge en novembre, il faudrait que pendant ces deux mois avant le congrès de Reims, on assiste à une bonne curée, un franc pugilat, un crêpage de chinions (sic! Notez, c'est juste un éditorialiste, pas un prof de Français) en règle, digne du marché de Brive-la-Gaillarde de Brassens ou des bagarres de poissonniers du village d'Astérix". Et de conclure: "(...) Ne les décourageons pas : battez-vous, opposez-vous, vous avez deux mois et nous, à Reims on épongera le sang sur les murs et on comptera les points. De toute façon, les idées ne seront audibles qu'après le massacre".
Moi je me dis que chaque année les cons sont plus nombreux - dans les médias comme ailleurs - et que ceux de l'année prochaine sont en avance: c'est la rentrée.
Car enfin, quel aveu! Thomas Legrand, enfreignant la règle intangible évoquée plus haut, tombe quasiment le masque: l'aspect "bataille d'egos" au PS n'est pas pour lui un aléa dommageable de la vie politique, c'est au contraire un scénario souhaitable. Oh, bien sûr, en apparence on invoque la nécessité d'une clarification du leadership du parti afin "qu'une vraie opposition émerge". Ben voyons. La vérité, c'est que ça l'arrange.
"Les idées ne seront audibles qu'après le massacre", dit-il. Audibles par qui? Par les chroniqueurs de son acabit? Mon cul, oui. Qu'il y ait au PS, après le congrès de Reims, un leader incontestable ou pas , ils ne sauront se passionner que pour le soutien de machin à truc, et de ce qu'aura dit bidule à propos de machinette. On parie?
La personnification du débat politique existe, c'est un fait - les idées ne se baladent pas comme ça, en l'air - mais réduire la politique à la personnification présente un avantage certain pour tous les Thomas Legrand: ça évite de se farcir des choses fastidieuses comme les programmes (en l'occurence les "motions" des uns et des autres pour le congrès) et ça permet de pisser de la copie sans se fatiguer, tout en accumulant les bons mots et les métaphores subtiles. Ce matin, on parla de "crêpage de chignon" et on évoqua les ménagères en furie de Brassens à propos de l'affrontement Aubry-Royal, ah ah, t'as raison mimile, hein, tout ça c'est rien que des histoires de bonnes femmes. De l'humour bien français, qui fleure bon la soirée de chasseurs de tourterelles ou la troisième mi-temps de supporters de foot.
Pour un Thomas Legrand, le métier de journaliste politique apparemment se résume à ironiser sur les affrontements d'ego - ne surtout pas envisager une seconde qu'ils soient sous-tendus par des visions différentes, voire des projets divergents - et, comme il le dit lui-même, à "compter les points". Et basta.
Beaucoup de ses confrères sont certainement sur la même ligne, si on en juge par leur production. Mais ils ne l'admettront jamais ouvertement. Reconnaissons donc au moins à Thomas Legrand le mérite d'une certaine franchise: il assume pleinement son rôle dans le système, un système où le débat politique se limite aux "petites phrases" et où le job de ceux censés l'animer se résume à leur enregistrement. Dans ce système, le "journaliste politique" est l'interlocuteur naturel du "communiquant": ils se connaissent, se fréquentent et naviguent de conserve chaque fois que c'est possible.
Quant au citoyen qui entend éclairer son jugement, qu'il se démerde.
Au fait, je suis en train de les lire, moi, les "motions" du congrès, et c'est vrai que c'est pas un exercice marrant. C'est écrit tout petit, et y a pas d'images. Je dois être naïf, mais cette lecture me confirme dans mon sentiment que les querelles de personnes au PS recouvrent de vrais débats, a minima dans la façon de faire de la politique, ce qui est moins anodin qu'il n'y paraît. En tout cas ça prend du temps et de l'énergie de s'intéresser vraiment à la politique. Les Thomas Legrand ont sûrement mieux à faire.
Ciao, belli.
6 commentaires:
Dernier paragraphe parfait, j'adhère. Non tu n'es pas naïf...juste normal et vraiment politique avec un grand P.
PS: ce sont juste des "contributions", pas encore des "motions" (j'ai mis du temps à comprendre), lis vite avant que ces dernières n'arrivent :-))
Oups, tout juste, ca me revient maintenant. Une "motion", c'est plutot un truc de courant, c'est ca?
Quoiqu'il en soit: lis vite, lis vite, t'en as de bonnes, toi! Je ferai mon possible, c'est promis...
Tu as peut-être raison en ce qui concerne la bêtise (le cynisme ?) dudit Thomas. Mais ce commentaire s’inscrit, hélas, dans la droite ligne de la couverture par France Inter de l’université d’été du PS, où l’on a eu droit à tous les détails sur les guerres de clocher, comme si c’était cela qui comptait…Et puis un certain nombre de journalistes ont parfois (trop) tendance a donner (au peuple) ce qu’il attend, ou en tout cas ce qu’ils croient que le peuple attend. Donc, pour faire clair, ce commentaire ne reflète-t-il pas l’opinion d’un grand nombre de Français, sur le mode ‘on n’en peut plus de ces luttes fratricides au PS, qu’ils s’écharpent une bonne fois pour toutes, et on verra ce qui ressortira des cendres.’ Je pose la question…
Si tel est le cas, tu as eu raison de faire cette mise au point, cela fait plaisir de voir que des militants croient encore à certaines idées politiques, alors que tout porte à croire que, au sommet, seule compte l’ambition personnelle. Problème de communication du PS ? Absence d’idées nouvelles ? Absence d’un chef / d’un bureau directeur armé de convictions et d’une ligne politique claire ?
Je crois qu'on a atteint un "seuil" dans le systeme mediatico-politique pour ce qui concerne le "traitement" du PS: les uns (ceux-qui-causent-dans-le-poste-au-parti) essaient desesperement de faire passer le message qu'il existe une alternative a la Sarkozye, et qu'elle s'articule autour:
- du primat de l'interet general (Vs les interets prives)
- de formes de solidarite (Vs chacun pour soi)
sachant que les questions de personnes se posent, tandis que les autres (les "journalistes politiques") veulent avant tout raconter une histoire simple et courte sans se faire trop chier, et se focalisent sur le "qui" plutot que sur le "quoi". Ce seuil est, malheureusement, pour l'instant indepassable, surtout par ceux qui s'y complaisent (les medias).
En même temps, les "vedettes" du PS courent après les micros et les caméras pour nous les sortir, ces petites phrases; c'est comme l'histoire de la poule et de l'oeuf : qui qu'a commencé, hein ? Alors, en ce qui me concerne, j'ai arrêté de m'énerver sur les chroniqueurs matinaux. Ils digèrent ce qu'on leur donne à manger, n'est-ce pas ?
Catherine
C'est bien pour ça que je considère ce triste jeu comme un "système". Là où je trouve qu'on touche le fond avec Thomas Legrand, c'est qu'il ne fait même plus semblant de vouloir en sortir... en tout cas pour ce qui concerne le PS...
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