vendredi 2 février 2007

Bayrou, le Centre adroit

De sondages en commentaires médiatiques (les uns entretenant avec les autres une relation des plus douteuses, comme promis il y a quelques jours nous en reparlerons), le "buzz" du moment c'est la montée dans l'opinion de Francois Bayrou: le "troisième homme" si l'un d'entre eux n'était pas une femme, à moins qu'on ne compte Le Pen, du coup ça fait quatre, je m'y perds, passons.
Réalité ou "bruit", comme disent les statisticiens, il faut dire que moi aussi je le "sens" dans l'opinion, le Bayrou, en ce moment. Il a pour lui cette espèce de vertu que constitue la constance poussée jusqu'à l'obstination, en ces temps ou les politiques ont la réputation de changer d'opinion tous les trimestres. Une constance qui consiste à marteler imperturbablement un message articulé autour du triptyque:
  • "Je veux rassembler les talents d'où qu'ils viennent", le côté centriste
  • "Ce qui est important, c'est de régler le problème de la dette/de l'éducation", genre: on n'est pas là pour rigoler, moi au moins j'annonce la couleur
  • "Je suis une alternative crédible au duel Ségo-Sarko qu'on cherche à vous imposer", la "soft rebel touch", ou le frisson raisonnable

Le tout pimenté de charges contre les médias et les "puissances de l'argent", le genre de truc qui crée des aspérités dans le message, comme disent les publicitaires. En effet, ce type vient d'un parti classé à droite, a participé à des gouvernements de droite, et revendique l'héritage de Giscard d'Estaing. Or la droite parlementaire en France a une solide tradition de connivence avec le grand patronat, à l'exception peut-être de De Gaulle. Du coup, ses coups de gueule savamment distillés contre les milieux économiques et leur influence lui permettent de se démarquer de Sarkozy, dont un frère préside la Fédération du Textile au MEDEF. Et, du coup, de se "créer un espace", sachant qu'il est entendu pour tout le monde qu'il n'est pas à gauche. Le recentrage, ça s'appelle.

Enfin - c'est davantage de l'ordre du packaging, mais ça compte - il cultive une iconographie de sa personne le représentant en "pas riche-riche, mais paysan aisé", bottes "Aigle" dans la terre Béarnaise, pantalon de velours côtelé et veste "Barbour" un peu usée jetée négligemment sur les épaules, sur fond de campagne embrumée au petit matin. On a beau dire, un poil de ruralité mais pas trop, ca vous donne un petit côté authentique: ça plaît inconsciemment, en France, même en 2007.

Dans un paysage politique pollué par les communicants de tout poil (journalistes inclus) qui cherchent à vous faire prendre des affairistes pour des philanthropes et des bolcheviks pour des humanistes, ou l'affrontement préprogrammé PS/UMP finit par lasser après six alternances, ce cocktail s'avère être payant dans l'opinion. D'autant qu'il faut bien l'admettre, ce Monsieur n'a pas seulement l'air sincère: il l'est, à n'en pas douter. A cela s'ajoute la sympathie que suscite un type que beaucoup de ses amis ont trahi (remarquez, perdre l'amitié de Philippe Douste-Blazy, on doit quand même vite s'en remettre).

Il y a quand même trois choses qui coincent, à mes yeux, chez Bayrou.

  • La première, c'est le centrisme, justement. En admettant qu'il se fasse élire président et que, comme promis, il forme une "dream team" avec ce qui se fait de plus compétent, de plus honnête à droite et à gauche. (Par exemple: Jean-Luc Mélenchon à l'Economie et Christine Boutin à l'Education Nationale. Mais non, je déconne). En admettant que, du coup, il réduise au silence le "faux débat PS/UMP", comme il dit. Et sous l'hypothèse, plutôt vraisemblable, que la situation économique et sociale et l'idée que s'en fait l'opinion ne s'améliorent pas du jour au lendemain, qui retrouve-t'on, dans l'opposition, et donc comme alternative? Le Pen. Plus, bien sûr, la "gauche de la gauche", dont on connaît les capacités à s'organiser, à faire des propositions intelligentes, et à séduire les électeurs, surtout.
  • La deuxième, c'est qu'aussi sincère qu'il soit, le Bayrou, dans sa volonté de se situer à égale distance du PS et de l'UMP et de "casser le système", on peut douter que les élus - et les électeurs traditionnels - de son parti soient vraiment derrière lui de ce point de vue. L'UDF, on aura du mal à m'ôter de l'idée que c'est de droite. Mais je le jure: si, à l'heure des législatives, on compte autant de désistements réciproques UDF-PS qu'UDF-UMP, je retire ce que j'ai dit. En attendant, lorsqu'on demande à Bayrou pour qui il appellerait à voter dans l'hypothèse d'un 2ème tour Royal-Sarkozy, il répond: "Je ferai tout pour qu'on n'en arrive pas là", fermez le ban, question suivante. OK, mais si malgré tous tes efforts on en arrive là quand même, hein, dis, imaginons, on ne sait jamais, des fois? Une vraie réponse de centriste, ça serait: "J'examinerais leurs propositions respectives, et je choisirais de soutenir celui ou celle qui porte les idées qui me paraissent le plus justes pour la France". Oui mais voilà: ça laisserait entendre aux électeurs UDF qu'il y a du bon à prendre au PS, et que donc ça fait des années qu'on les prend pour des cons, à les faire jouer les supplétifs pour les gaullistes. Moi, je serais UDF, j'aimerais pas.
  • La troisième, c'est le côté catho du bonhomme. En ces temps ou les bigots de toute espèce redressent la tête, je n'aime pas trop l'idée de mettre à la tête d'un État qui se veut - et se doit d'être - neutre et vigilant face aux religions, quelqu'un qui affiche aussi ouvertement ses croyances. N'oublions pas que ce Monsieur, lorsqu'il était à l'Education Nationale a voulu réformer la Loi Falloux, et permettre aux collectivités locales de financer tout à leur aise les établissements scolaires privés (cathos, dans leur grande majorité), au détriment des établissements publics. Moi, j'aimerais bien que les journalistes le cuisinent un peu plus sur des trucs comme l'avortement, la culture des cellules-souche, et la part que peut prendre l'enseignement confessionnel en France. Juste pour voir, comme ça.

Bref: je veux bien admettre qu'il y ait des raisons objectives - et peut-être durables - à ce que l'hypothèse Bayrou devienne de plus en plus crédible. Mais il faut appeler un chat un chat, et un berger pyrénéen un chien sympa dont la raison d'être consiste à s'occuper de moutons. Bayrou, même éventuellement contre sa volonté, c'est la droite, basta. Il n'y a pas de mal à ça, mais qu'on arrête de nous parler de troisième voie.

"Le Centre, mon cul", aurais-je tendance à conclure, mais ça détonnerait, au milieu de ces textes plein d'élégance. Quoique.

Allez, à la prochaine.

6 commentaires:

Erasme de Metz a dit…

Ici la brigade ségoliste de Metz, vous avez été dénoncé par Patrick M.

Bravo pour le blog et des prises de positions très sympa.

Un test, sur Bayrou, en lisant les programes fiscaux tels qu'ils émergent
UMP: baisse des prélèvements (4 points)
UDF et PS: maintient du niveau (global) des prélèvement

ça clive bien le rapport droite-gauche non?

Anne-Marie a dit…

Campagne virtuelle

Ciao Riwal !
Et si tu nous faisais un de ces commentaires salaces dont tu as le secret, au sujet du média - inédit - utilisé par nos tendres et chers politiques ? J'ai nommé la toile communautaire, plus précisément le fameux Second Life.

Force est de constater que Le Pen y a créé son QG à grand renfort de matraquage visuel et Ségo sa permanence officielle. Pour ce qui est du troisième larron - le Sarko - je ne sais s'il s'y est mis, mais cela ne saurait sans doute tarder... J'avoue ne pas avoir fait mienne la pratique de la vie virtuelle...

Alors... Serait-ce LE média du XXIè siècle ? La révolution en matière de communication ? La surprise en terme de gestion d'image ? Le moyen de toucher - enfin - la jeune génération ? Rappelons-nous juste de Bill Clinton qui, à l'époque, avait utilisé MTV comme relai de sa candidature. Un coup qui avait porté ses fruits...

Au plaisir de te lire !
Bises
AM Belcari

Riwal a dit…

Avec beaucoup de retard, réponse à Anne-Marie: le cas de l'adoption d'un territoire comme Second Life comme espace de communication (politique, en l'occurence)interpelle, comme on dit, par le côté virtuel de la chose. Mais lorsqu'on sait que certains fêlés passent jusqu'à six heures par jour dans la peau de leur avatar numérique dans cet espace, peut-on vraiment parler de virtualité? Finalement, quelle différence avec les caravanes de l'UMP qui sillonnent les plages en été? Dans les 2 cas, on cherche à appâter le chaland hors de son contexte habituel. Maintenant, reste à savoir combien d'électeurs potentiels (18 ans et +, ce qui limite déjà l'audience)interagissent avec ces campagnes virtuelles et si contact il y a, en quoi c'est susceptible d'influencer leur vote plus sûrement qu'un bon vieux face-à-face. Bref, pour moi, ca relève aujourd'hui davantage d'une stratégie de maximalisation de la visibilité que d'une nouvelle forme de conviction. Mais bon, affaire à suivre...

Riwal a dit…

Réponse à Erasme de Metz: ah bon?

Anonyme a dit…

euh, c'était une question pour avoir un avis....

Anonyme a dit…

ben euh, c'était une question pas une affirmation :-))