samedi 10 février 2007

Quand Strauss-Kahn pète un câble

Je les entends d'ici, mes amis de droite (si si, j'en ai) : "Hin, hin, t'es d'accord avec le programme du PS, sauf quand çà touche ton portefeuille"... "Après la gauche-caviar, la gauche-fondue!"... "La contribution au bien collectif, c'est bon pour les autres"... Et qu'est-ce que je vais leur répondre, hein, dis, Ségolène, si tu intègres les recommandations de ton groupe d'experts en fiscalité (on se tutoie, entre membres du parti, c'est la règle)? Je leur dis quoi? Que je suis tout-à-fait d'accord avec l'idée de la "contribution citoyenne" alors que je n'en pense pas un mot? Ou que je suis en désaccord, et je ramasse des quolibets du genre de ceux évoqués plus haut?
Récapitulons: suite aux cafouillages de début janvier sur les ambitions du PS en matière de fiscalité, Ségolène demande à trois parlementaires PS de plancher sur le sujet et de lui remettre un rapport fissa-fissa (comme quoi elle a déjà l'étoffe d'un chef d'Etat français: "Y a une merde? Hop, une commission"). Aussitôt dit, aussitôt fait: Dominique Strauss-Kahn (lui, on connaît), Didier Migaud (rapporteur à la Commission des Finances de l'Assemblée Nationale, on le connaît moins, sauf qu'on peut en dire qu'il s'en est fallu d'une consonne) et François Marc (là, je sèche) remuent leurs méninges et, entre autres, expliquent qu'ils souhaitent "mettre en place un impôt citoyen que paieraient tous les Français même lorsqu'ils ont décidé de délocaliser tout leur argent à l'extérieur" et de "lutter contre cette manière de se désintéresser de ce qu'est la France quand on est Français".
Petite précision pour ceux qui n'ont pas bien lu le descriptif de ce blog: je vis en Suisse, et, je le dis sans honte ni fierté, j'ai un passeport francais. Je suis inscrit au Consulat de Genève, je vote aux élections nationales et, accessoirement, je fais partie du PS, Fédération des Français de l'étranger. Cela étant, si je sais lire, je comprends que je fais partie des vilains canards qui se "désintéressent de ce qu'est la France". Il est vrai que si l'on parle de la France de Jean-Pierre Pernaud, du CAC 40, de Le Pen, de Philippe de Villiers, du Tour de France et de Mireille Matthieu, pour ne prendre que ces exemples, effectivement de cette France je me tamponne allègrement le coquillard... Mais j'ai le sentiment que mon expatriation n'est pas pour grand-chose dans mon indifférence.
Nos trois experts ont eu une idée originale: faire payer une "contribution citoyenne", un impôt, donc, à tout français vivant à l'étranger. D'où leur vient-elle, cette idée? Du constat que certains de mes concitoyens pleins aux as s'installent au delà des frontières pour échapper à l'impôt national, et qu'il convient de les "rattraper par la culotte" comme l'écrivait joliment Libération.fr ce vendredi. Sans le dire, mais en le pensant très fort, ils ont en tête des gens comme Johnny Halliday qui s'exile à Gstaad six mois plus un jour par an, ou à la famille Mulliez (le groupe Auchan, c'est eux) qui s'est construit une jolie résidence principale en Belgique, à quelques kilomètres de la frontière française. Et qu'on n'aille pas m'expliquer que "non non, pas du tout, ca n'a rien à voir avec Johnny". Mon cul, oui. L'idole des ex-jeunes est un fervent soutien de Sarko et le fait savoir, ledit Sarko est à deux doigts de nous dire qu'on est face à un problème de "fuite des cerveaux" avec l'exil de Johnny, alors l'occasion est trop belle.
C'est pathétique.
Les français à l'étranger, c'est plus d'1,2 millions de personnes (statistiques 2004, source: Ministère des Affaires Etrangères - avec Douste-Blazy aux commandes, vous ne voudriez pas que ca soit à jour, non plus!). Dans le tas, combien de millionnaires ou multimillionnaires qui ont quitté le territoire pour échapper au fisc? Des Johnny, il n'y en a qu'un, encore heureux, mais mettons des Mulliez? Je ne sais pas, vous non plus, et je vous fiche mon billet que Strauss-Kahn et ses comparses n'en ont pas davantage une idée très précise . Ou s'ils ont des infos, alors leur "recommandation" est encore plus hallucinante qu'on ne puisse l'imaginer. Parce qu'assimiler l'ensemble des "expats" à des gens qui "ont décidé de délocaliser tout leur argent à l'extérieur" relève au mieux de la connerie, au pire de la mauvaise foi et de la démagogie.
Là-dessus, on nous explique que cette "contribution citoyenne" pourra être "symbolique". Ah bon. C'est combien, "symbolique", d'abord? Par ailleurs on nous dit en substance que "y a pas de raison, être français présente des avantages, on ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre". Enfin, argument suprême, on nous fait remarquer que d'autres pays pratiquent ce genre de fiscalité, notamment la Suisse et les Etats-Unis.
Reprenons:
  • On nous parle de "contribution citoyenne", j'aimerais qu'on m'explique. Cette contribution, elle se fonde sur mes revenus avant ou après impôts (suisses, en l'occurrence)? J'attire l'attention de mes camarades Dominique, Didier et Francois sur le fait que quand on ne s'appelle ni Johnny Halliday ni Michael Schumacher (qui payent un forfait négocié), en Suisse l'impôt sur le revenu est un des plus élevés d'Europe. Alors dites-moi vite, que je me fasse une idée du prix du "symbole"
  • Il semblerait qu'étant français je bénéficie d'avantages que me prodigue la collectivité, sans y contribuer par l'impôt. Je ne sais pas pour les autres, mais "chez nous", en Suisse Romande, les deux consulats ont été ramenés à un seul, pour faire des économies. Par ailleurs, pour que mes enfants puissent avoir un cursus scolaire français, je dois les mettre dans une école privée (un établissement géré par des bonnes soeurs, de surcroît) qui ne touche que des clopinettes de la République. Et, du coup, dépenser des fortunes.
  • S'il s'agit de piquer des idées chez les Suisses ou les Américains, faut pas s'arrêter à l'impôt sur les "expats". Empruntons-leur également, tant qu'on y est, leurs systèmes de couverture Santé: entièrement privés, paye ou crève, çà aussi c'est vachement malin, çà évite aux riches bien-portants de payer pour les malades pauvres, chacun pour soi et la loi du marché pour tous

Alors disons-le tout net: cette idée de "contribution citoyenne" me sort par les yeux, et pas seulement parce que je risque de passer personnellement à la caisse.

D'abord, ce truc pue l'opportunisme à plein nez, c'est de la "justice sociale" à deux balles. Evidemment, nous avons beau être relativement nombreux, nous les "expats", que pesons-nous électoralement? Pas grand-chose, en tout cas moins que tous ceux qui pourront être convaincus que tous les francais vivant à l'étranger sont des "Johnny" potentiels ou réels.

Ensuite, ce "machin" est très certainement impraticable. Comment l'administration fiscale, qui peine déjà à recouvrir l'impôt sur le territoire, va-t'elle soudainement se transformer en pompe à fric implacable hors des frontières? La Suisse et les Etats-Unis le font, certes. N'empêche que leurs fonctionnaires, n'en déplaise à mes compatriotes, sont un peu plus efficaces que les nôtres, même si ce n'est pas un exploit.

Enfin, en admettant que cet impôt soit légitime, j'aimerais savoir:

  • Combien on espère qu'il rapporte, une fois déduit ce qu'il en coûtera à la collectivité de le percevoir (la France est championne d'Europe en matière de coût de collecte des impôts)
  • A quoi exactement cette "contribution citoyenne" est sensée servir, même si je ne me fais pas d'illusion (en France, l'affectation des recettes fiscales est une "black box")

Soyons clairs: je ne suis pas de ceux qui expliquent qu'il est bien normal qu'on quitte le territoire français parce qu'ailleurs on y est moins "contraint", que la France souffre de "rigidités", et toute cette sorte de choses. Et je me contrefous que les Mulliez échappent au fisc et, du coup, ne financent pas les jolies routes nationales qui desservent leurs hypermarchés. J'attache davantage d'importance à la manière dont ils traitent leurs salariés, leurs fournisseurs, et l'esthétique des abords de nos villes. Là, y aurait des trucs à dire et à faire. Mais j'entends n'être pris ni pour un con, ni pour un profiteur parce que les hasards de la vie professionnelle m'ont amené à quitter la France.

Malgré celà, au risque de m'en prendre plein la tronche, je continuerai à dire à mes copains de droite que je voterai Ségolène Royal. Parce qu'au delà de mes convictions, qui m'imposent ce choix, je suis persuadé d'un truc: le jour ou ce dossier vient sur la table, on peut compter sur les fonctionnaires de l'administration des Finances - sans compter ceux des Affaires Etrangères - pour expliquer que oui, bon, d'accord, mais faudrait plus de moyens, plus d'effectifs, et des salaires plus élevés, faute de quoi çà va pas être possible. On parie?

Allez, salut.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

"Il est vrai que si l'on parle de la France de Jean-Pierre Pernaud, du CAC 40, de Le Pen, de Philippe de Villiers, du Tour de France et de Mireille Matthieu, pour ne prendre que ces exemples".

T'as pas le droit de mettre le Tour de France là-dedans Riwal. Allez sois sympa et remplace "du Tour de France" par "des Bretons"

Riwal a dit…

Non non, Seb, j'y tiens, et si je ne te compais pas parmi mes amis, j'aurais ajouté "l'équipe des Verts de Saint-Etienne".

Sans rancune?